Le cas des affaires Baby Loup et Micropole sur le port du voile islamique au travail
Pierre Lénel et Marie Mercat-Bruns[1]
«Au cours des deux dernières décennies, l’intersectionnalité fut qualifiée dans le monde universitaire, particulièrement en études féministes et de genre, de règle d’or, de modèle à suivre, de bonne pratique féministe, ou encore d’apport théorique le plus important du féminisme à ce jour » (Bilge, 2018). Si Sirma Bilge peut s’autoriser cette affirmation, en écrivant surtout à partir du contexte nord-américain, la situation, en France, ne nous semble pas aussi nette. Comme nous le verrons plus loin, la réception française de ce paradigme a soulevé de nombreuses résistances[2]. Si, aujourd’hui, les représentants d’une nouvelle génération de chercheurs et chercheuses peuvent affirmer qu’« adopter une perspective de genre doit conduire à poser systématiquement la question des modalités d’imbrication du genre dans d’autres rapports de pouvoir qui traversent l’ordre social » (Bereni, Chauvin, Jaunait et Revillard, 2013 : 10), cette posture constitue plus une pétition de principe qu’un constat empirique, aussi bien dans le monde académique qu’au sein des mondes militant et politique. À l’occasion de ce texte, nous proposons tout à la fois de revenir aux sources de l’intersectionnalité, c’est-à-dire reconnaître que « l’intersectionnalité a fait son apparition dans une conjoncture historique bien spécifique aux États-Unis » (Crenshaw, 2016 : 36), et de contribuer à son appropriation dans un contexte différent. Ainsi nous nous situons dans la perspective tracée par Kimberlé Williams Crenshaw elle-même lorsqu’elle affirme, vingt après son texte iconique, l’intérêt et la nécessité de « travailler à partir de son déploiement dans de multiples contextes » de manière à contribuer à ce qu’elle appelle le « carnet de voyage de l’intersectionnalité » (Ibid. : 50-51).
C’est dans cette perspective que nous aborderons les récits des deux plaignantes licenciées pour le port du foulard islamique dans le lieu de travail (affaires Baby Loup et Micropole)[3]. Ces récits ont été recueillis au cours de longs entretiens biographiques[4]. Nous avons deux ambitions. La première est de réfléchir à ces narrations du point de vue sociologique et juridique pour envisager dans quelle mesure elles nous révèlent à la fois un ressenti de discrimination multiple, ou intersectionnelle, qui n’a pas été pris en compte par le droit français et européen en dehors des constatations du Comité des droits de l’homme de l’ONU au titre d’une violation du Pacte civil et politique (article 26) dans leur décision sur l’affaire Baby Loup[5]. Ce constat reflète une des caractéristiques de la théorie de l’intersectionnalité, l’invisibilité des personnes dans ces situations qui n’entrent ni dans les qualifications juridiques mobilisées habituellement, ni dans certaines grilles de lecture de sociologie (I). En outre, la deuxième ambition est de démontrer que l’analyse de ces narrations de plaignantes permet d’envisager une lecture interdisciplinaire féconde. L’originalité de la méthodologie ici empruntée, qui diffère sans doute des démarches de sociologie juridique ou de sociologie du contentieux, dérive de son écriture à quatre mains. Elle offre, par le biais d’une lecture commune du droit en action et en sociologie, des réflexions nouvelles sur certains contextes d’inégalités à la fois individuelles et structurelles ainsi que sur l’exercice des libertés dans l’emploi (II). En effet, le droit en action et la sociologie ensemble peuvent servir comme vecteurs de compréhension complémentaire d’une nouvelle épistémologie interdisciplinaire de la relation de domination que la situation particulière des femmes voilées dans l’emploi en France fait apparaître. Cette posture, enfin, ne s’inscrit pas forcément dans l’analyse politiste et juridique intersectionnelle développée à l’étranger et fondée sur la construction de groupes identitaires (Bereni, Bereni, Chauvin, Jaunait et Revillard, 2013).
I. Invisibilité des discriminations multiples dans les narrations des plaignantes et singularité de la mise en scène du procès
1. Récits de discrimination et mobilisation de la condition intersectionnelle
Les discriminations multiples ne sont pas définies en droit international, régional (européen ou communautaire) ou national à l’exception du Royaume-Uni (Daugareilh, 2011 : 36 ; Solanke, 2010). Mais le droit de l’Union européenne l’évoque dans certaines directives[6]. Notre propos n’est pas ici de refaire le procès et de rechercher la qualification de discrimination multiple dans les propos des plaignantes. Il est plutôt de voir en quoi la façon dont elles évoquent leur ressenti discriminatoire dérive de cette situation de décalage, d’incompréhension, d’ignorance par rapport à la spécificité de leur situation qui se trouve à l’intersection des catégories sociales et juridiques. En outre, leurs narrations permettent de confirmer l’incidence réelle de la confluence de leur sexe et de leur religion qui permet aux « autres » de les associer à des images, des préjugés. Ces jugements, en effet, ne renvoient pas uniquement à leur sexe, ni exclusivement à leur religion mais à une série d’images et de perceptions les associant à un groupe, qui serait homogène, des femmes voilées : elles sont réduites à leur voile, à une subordination, ou une présomption sur leurs centres d’intérêts dans la sphère de la domesticité, en dehors de la sphère de l’emploi.
Cependant, à la différence de la vision traditionnelle de l’intersectionnalité comme une situation cumulant les désavantages, par ailleurs exacerbée et subie par l’invisibilité qu’elle entraîne en droit, certaines observations des plaignantes ne relatent pas que des situations de traitement défavorable. Leurs propos montrent comment les demandeuses peuvent être conscientes de cette situation hors normes ; elles peuvent elles-mêmes mobiliser activement la singularité de leur position par leurs actions juridiques et non juridiques. Elles semblent performer ou transformer leur identité de femmes voilés. Il serait possible que l’intersectionnalité mise en œuvre en contexte français reflète une tension présente dans ces narrations : le constat d’un désavantage dû à des formes d’exclusion et un élan vers la reconnaissance formelle de sujets de droit par l’action juridique, ce qui revêt une dimension politique et sociale, symbolique et unique.
Fatima Laaouej : « Je suis arrivée à l’école d’éducateurs de jeunes enfants et j’étais : waouh, ce monde ! waouh ! Personne me regarde, personne me parle, je suis l’arabe, la seule dans toute l’école, la seule mariée, la seule avec un enfant, la seule qui vient de cité, la seule qui n’a pas fait d’études, et la seule qui a été retenue ».
Fatima Laaouej : « Madame Baleato [la responsable de la crèche] organise une grande fête pour moi auprès du personnel. Elle m’offre un collier en or, de sa poche, que j’ai revendu il y a 2 ans. J’avais besoin d’argent. Je me suis lancée. J’étais au Maroc. J’étais sans le sou. Je l’ai revendu. J’ai dit bon adieu Natalia. Ouais. Ça m’a fait mal au cœur de le revendre, et j’ai regretté. Je me suis dit j’aurais dû la (…), frapper à sa porte et lui dire : tu te rappelles ? Il y a eu une belle histoire quand même ».(…)
« Elle a fait une grande fête. D’ailleurs j’ai, pour vous dire un peu qui j’étais, je me suis déguisée en africaine. Ouais, j’adore ».
En dépit de sa situation « exceptionnelle », Fatima est reconnue pour ses qualités personnelles : ainsi le désavantage de la situation intersectionnelle peut s’avérer être une originalité, voire un atout. Le désavantage de sa situation se trouve alors transformé par ses qualités qui semblent hors normes. Cela se vérifie au moins à deux reprises : au moment du recrutement à la crèche Baby Loup par la responsable, Mme Baleato, et au moment du passage devant le jury pour entrer dans son école d’éducateurs de jeunes enfants[7]. Les désavantages, bien réels, sont tournés en avantages. Une image à plusieurs prismes qui ne ressort pas de la lecture dominante de l’intersectionnalité donnée par Crenshaw (Crenshaw, 1989 : 139).
D’autres propos de l’avocate de l’association qui accompagne les deux plaignantes, Lila Charef, et d’Asma Bougnaoui, protagoniste de l’affaire Micropole, sont plus tranchés.
Lila Charef : « Laurence Rossignol [ancienne ministre de la Famille, de l’enfance et des droits des femmes], c’est intéressant… Ce qu’elle dit et d’autres disent, c’est-à-dire que quand vous êtes une femme voilée, soit vous êtes victime soit vous êtes diabolique. Une soldate verte, une soldate du fascisme islamique. En gros la femme qui porte un foulard ne peut jamais être une figure positive ».
Asma Bougnaoui : « Il y a des mouvements qui se construisent [autour de l’identité et des revendications des femmes voilés] mais en fait moi c’est quelque chose que j’ai toujours refusé ».
Lila Charef : « Justement c’est là qu’on voit qu’il y a intersectionnalité vous voyez ».
Cette remarque de Lila Charef est particulièrement intéressante pour notre propos. Elle articule en effet l’intersectionnalité au refus d’Asma de se rapprocher d’un quelconque mouvement et à l’idée d’une figure positive de la femme voilée : singularité de la personne qui ne peut se fondre dans un mouvement et affirmation positive d’une indépendance constituent pour l’avocate la preuve, si l’on peut dire, de l’intersectionnalité. Bien loin (à l’opposé ?) donc des représentations parfois un peu simplistes d’une intersectionnalité cumulative (une personne cumulerait les désavantages) ou d’une intersectionnalité qui renverrait à des rapports sociaux perçus comme fixes et donc immuables. Lila Charef envisage ici la possibilité de mobiliser l’intersectionnalité dans une perspective émancipatrice permettant de comprendre la dynamique singulière des personnes et d’aboutir à un élan de résilience.
Lila Charef : « Voilà parce que les femmes en général vous avez vu les mouvements qui s’intègrent dans cette dynamique d’émancipation, ce sont plutôt les racisés ».
Marie Mercat-Bruns : « Oui ».
Lila Charef : « Voilà donc on le voit avec des femmes euh noires, on le voit avec des femmes euh voilà arabes, et on le voit avec des femmes voilées. Donc c’est vrai qu’il n’est pas, enfin, il n’est pas traité en tant que tel. C’est vrai que les principales concernées le perçoivent plutôt comme euh,… enfin l’un des reflets ou l’une des expressions d’un racisme plus global ».
Marie Mercat-Bruns : « Est-ce qu’on pourrait se dire ça autrement ? Et ça c’est juste une question. Le fait que de toute façon comme vous portez le voile, vous n’avez pas besoin de parler (…). Que ça fait partie peut-être de ce type d’identité où en fait grâce au voile, vous n’avez pas besoin de parler, vous n’avez pas besoin d’être visible autrement. Je pose la question ».
(…)
Asma Bougnaoui : « Non, en fait moi ce qui m’a toujours dérangée, et ce que j’ai toujours revendiqué, c’est que pour moi c’est une non question ».
Marie Mercat-Bruns : « Voilà. Une non question ».
Asma Bougnaoui : « C’est une non question… Pour moi la question ne devrait pas se poser. Et c’est pour ça que j’ai toujours eu des réticences…. Des femmes voilées, il y en a mille et mille différentes ».
Marie Mercat-Bruns : « Oui ».
Asma Bougnaoui : « Et quand on va parler avec elles, les ressentis seront différents, les motivations seront différentes. Et je ne me sens pas plus proche d’une femme voilée que d’une femme non voilée donc je ne vois pas pourquoi je devrais me rapprocher d’elles ».
Pour la société majoritaire, porter le voile est le signe d’une différence, partagée, qui en fait une différence essentielle, suffisamment structurante pour constituer quelque chose comme un groupe séparé. Tout se passe comme si ce choix surdéterminait toutes les autres caractéristiques de ces femmes et devait les rendre semblables[8]. Or, Fatima et Asma disent qu’au contraire cela n’est pas suffisant pour les rapprocher à un groupe structuré, dans la vie politique comme dans la vie au quotidien. Pas plus que la classe des femmes, la classe des femmes voilées n’existe pas.
Cela rendrait aussi plus délicat la constitution d’une « action de groupe » pour cause de discrimination, possible depuis 2016. Ce n’est pas parce que les femmes voilées ne pourraient pas contester, par exemple, des manquements liés à l’application différenciée de la règle de neutralité de l’entreprise (refus d’effort de reclassement, traitement différent de la neutralité politique, religieuse ou philosophique, etc.)[9]. Cependant, Fatima et Asma ne semblent pas ressembler aux groupes ayant des revendications ou des expériences similaires de la discrimination ; dans leurs récits, il apparait qu’elles ne se positionnent pas de la même manière dans leur vie personnelle, vis-à-vis du fait de vouloir travailler ou pas, vis-à-vis de l’acceptation du voile par leur famille ou pas, etc.
Asma Bougnaoui : « J’ai toujours refusé ça. J’ai toujours refusé ça et en fait c’est vrai que ça m’est déjà arrivé de croiser des femmes voilées dans ma vie professionnelle, c’est très rare mais c’est arrivé, et les gens se sont tout de suite attendus à ce qu’on se rapproche ».
Lila Charef : « C’est ce qui est difficile apparemment à comprendre pour les autres c’est que nous ne sommes pas si différents si ce n’est qu’effectivement nous avons des convictions religieuses nous portons un foulard. Et ce que vous dites juste c’est-à-dire que finalement dès qu’on porte le voile on a tout dit, on n’a même pas besoin de nous questionner. Et moi je trouve que ça s’inscrit dans un processus de déshumanisation. Je l’avais beaucoup vu aussi avec les jeunes filles qui au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 15 mars 2004 donc j’en ai assisté devant le conseil de discipline et là c’est intéressant parce qu’on peut faire le parallèle avec Asma. On nous a dit quasiment de toutes que c’étaient des jeunes filles au bon comportement, qui avaient de bons résultats mais dès lors qu’elles avaient quelque chose sur la tête on oubliait tout le reste et la décision d’exclusion était presque unanime. Et ce qui était très violent c’était la façon dont étaient traitées ces mineures puisque on avait l’impression que leur humanité n’existait plus on jugeait et on appréhendait juste un foulard. Et par rapport à une expérience que j’ai vécue c’était très significatif. Donc il y a eu un article du Figaro qui a couvert le procès Bensoussan puisque nous avions signalé au parquet les déclarations de Georges Bensoussan et à un moment donné j’ai eu un échange avec la présidente. Et quand il relate cette scène le journaliste du Figaro il va me décrire comme le voile fleuri, le voile donc en fait il va, le voile va me personnifier et c’était assez intéressant. Bon après c’est aussi une comment dire, il a recouru à des figures de style mais il n’a pas choisi n’importe laquelle ».
Le processus de réduction de ces femmes à leur voile est ressenti par elles comme un processus de « déshumanisation » qui renvoie au processus de réification défini par Axel Honneth (2007)[10] : on réduit tous leurs actes au voile, on les pense uniquement à partir de leur voile.
Asma Bougnaoui : « Ben je considère en fait que j’ai deux choix possibles et justement voilà au moment ben ce voile finalement me pose énormément d’obstacles pour rentrer dans la société française, faire des choses complètement anodines, travailler, aujourd’hui je suis maman, ben je tout de suite dès qu’on va à l’école je me rends compte ben voilà des réactions par rapport aux maîtresses, par rapport aux parents d’élèves, et du coup je me retrouve, c’est complètement absurde et je n’aimerais pas avoir à le faire, mettre en avant mon métier tout de suite parce que parce que je veux que justement les gens en tiennent compte et justement c’est bête c’est complètement bête de faire ça donc j’ai deux solutions aujourd’hui donc ben si je veux faire du sport je vais avoir des problèmes si je veux travailler je vais avoir des problèmes si je veux faire des études je vais avoir des problèmes donc j’ai deux choix soit et la majorité des femmes musulmanes le font, je vis en parallèle de la société enfin pas la majorité beaucoup de femmes choisissent de faire ça ».
Lila Charef : « Ou je me soumets ».
Asma Bougnaoui : « (…) trois choix, je l’ai oublié celui-là je vis en parallèle de la société… »
Lila Charef : « C’est vécu comme une forme de soumission ».
On est en présence presque d’un choix cornélien, une situation inextricable où tout le monde a à perdre. Au lieu de partir des relations qui favorisent l’inclusion et le respect de chacun, on se retrouve avec des normes et des choix de part et d’autre qui perpétuent les tensions sociales, et ne sont pas de nature à favoriser la fameuse « cohésion sociale » (Michéa, 2003).
2. L’émergence de l’intersectionnalité à la française : entre exclusion et performance d’une identité médiatique
Dans les extraits d’entretiens précédents, par analyse inductive, l’intersectionnalité semble être ressentie et même nommée, notamment par Lila Charef. Asma ne se sent pas faire partie d’un groupe homogène, désavantagé dans différents champs sociaux (travail, école, etc.). Pourtant elle est assignée à un groupe subordonné, soumis. Les femmes musulmanes seraient considérées d’une certaine manière nécessitant une protection : injonction qui atteint même leur liberté et l’écoute des autres. Elles sont leur voile. Elles ressentent une négation de leur identité (vulnérabilité sans identité propre). Elles se retrouvent à vivre en « parallèle de la société » par contrainte (« choix »). Le droit ne les aide pas, in fine, même si elles ont obtenu une certaine reconnaissance formelle et médiatique. Asma Bougnaoui gagne son procès en l’absence d’une politique de neutralité au sein de son entreprise et Fatima Laaouej obtient gain de cause à l’ONU[11].
Le droit leur permet de se mettre en scène : il permet de les rendre visibles, ce qui n’est pas forcément le cas dans la narration traditionnelle de l’intersectionnalité qui se fonde sur l’invisibilité, le non-recours au droit, l’absence d’outils adéquats en droit et en politique de revendication de la singularité à l’intérieur d’une catégorie protégée (Best, Edelman, Krieger et Eliason, 2011). Aux États-Unis, Crenshaw constate une double invisibilité au procès et dans la sphère citoyenne : d’une part, l’absence d’un comparateur adéquat pour prouver la discrimination multiple dans l’emploi à l’encontre des femmes noires et en faveur de femmes blanches ou d’hommes noirs ; d’autre part, l’absence, dénoncée par le black feminism, de visibilité politique de cette catégorie de femmes noires qui se trouvent à l’intersection de différentes formes de domination (racisme, domination de classe, domination de genre).
« La critique intersectionnelle [américaine] est venue remettre en cause le monopole de la représentation de certains groupes subordonnés (en particulier les noirs et les femmes) par les membres de ces derniers qui, dominants sous les autres rapports, présentaient les propriétés alors perçues comme les plus « représentatives » (les hommes noirs, les femmes blanches des classes moyennes) » (Bereni, Chauvin, Jaunait et Revillard, 2012 : 280). Nos entretiens avec les plaignantes françaises font écho aux analyses des défis que posent l’intersectionnalité en sociologie et en droit comme « l’impossibilité de reconnaitre une discrimination sui generis de leur expérience propre à la fois comme femme et comme personne voilée » (Möschel, 2014 : 698). En même temps, le procès projette sur la scène juridique et médiatique l’ensemble des tensions liées à cette situation particulière. À l’inverse, l’issue du procès favorable à Asma Bougnaoui et les constatations juridiques et institutionnelles du comité onusien concernant l’affaire Baby Loup, qui ne sont pas contraignantes, décrivent le positionnement spécifique de l’État français et des entreprises (exercer ou non le principe de neutralité) faisant émerger en creux la construction sociale et juridique de la femme voilée en marge des normes sociales et culturelles françaises. Pour arriver au constat de discrimination intersectionnelle en France, le Comité rappelle qu’il fait référence « aux restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions, qui affectent particulièrement les personnes appartenant à certaines religions et les filles, tout en s’inquiétant de ce que les effets de ces lois sur le sentiment d’exclusion et de marginalisation de certains groupes pourraient aller à l’encontre des buts recherchés ». Et conclut que le licenciement de Fatima Laaouej basé sur le règlement intérieur de la crèche, qui prévoit une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches, et sur le Code du travail, ne reposait pas sur un critère raisonnable et objectif et constitue donc une discrimination intersectionnelle basée sur le genre et la religion, en violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
De la situation des femmes voilées, certains juristes tirent l’idée qu’à défaut d’une intersectionnalité à l’américaine, il existe une intersectionnalité politique qui se pose de manière similaire en France dans le cadre des luttes féministes. Celles-ci s’occupent d’abord des préoccupations des femmes françaises blanches, non musulmanes, ce qui expliquerait leur difficulté à traiter des questions relatives à la « prétendue race »[12], à l’immigration, à l’Islam et au port du voile (Möschel, 2014 : 711). Pour certaines, le succès de l’intersectionnalité en Europe comme outil rassemblant toutes les femmes, cacherait en fait ce même rapport de domination entre les femmes plus ou moins désavantagées par leurs origines (Carbin et Edenheim, 2013).
3. Les procès Baby Loup et Micropole : surenchère juridique et médiatique ?
Les procès dont il est ici question sont très visibles sur le plan médiatique avec une couverture de la presse nationale et internationale (Bohlen, 2013). En outre, ils font l’objet de recours exceptionnels (Réunion de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation et Comité des droits de l’homme de l’ONU pour l’affaire Baby Loup, Cour de justice de l’Union européenne pour l’affaire Micropole) à la différence de la faible visibilité et médiatisation des contentieux intersectionnels américains, notamment devant la Commission de lutte contre les discriminations dans l’emploi (EEOC).
Ces procès ont fait évoluer les normes juridiques applicables. Ils provoquent un changement de la loi qui étend, dans le sillage de l’affaire Micropole, le principe de neutralité dans la sphère privée de l’entreprise (à travers la loi El Khomri de 2016)[13], en favorisant aussi une réflexion sur l’aménagement raisonnable de ces situations (obligation de reclassement dans certains cas – en appliquant la règle de neutralité, l’employeur doit, si possible, proposer à une salariée voilée en contact avec la clientèle un poste en « backoffice » –, obligation absente jusqu’alors du droit du travail français). La Cour de cassation dans le cadre de l’affaire Baby Loup, en revanche, en justifiant une charte de neutralité dans la garderie et donc une atteinte à la liberté religieuse justifiée et proportionnée (art. 1121-1 Code du travail) dans un lieu de prise en charge d’enfants, propose d’étendre la règle de neutralité dans la sphère privée lorsqu’il s’agit de certaines activités avec des populations sensibles, en l’occurrence des enfants.
Sur la médiatisation nationale et internationale de ces affaires, c’est presque l’inverse de ce qui s’est passé avec Black Lives Matter (lancé par Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi) (Célestine et Martin-Breteau, 2016) ou #metoo initié par des femmes noires (connues seulement a posteriori comme Tania Burke). Elles n’ont pas eu autant de visibilité comme toute autre situation intersectionnelle aux États-Unis.
Il faut aussi considérer l’émergence d’une dimension transnationale de la figure de la femme voilée. L’intervention de l’ONU qui désapprouve la France dans l’affaire Baby Loup ou la montée du nationalisme en Europe, aux États-Unis et au Brésil, donnent des arguments à la thèse contestée de Samuel Huntington sur le choc des civilisations, voire des religions (1997). À l’inverse, la tournure internationale et européenne de ces deux affaires pourrait illustrer une autre évolution liée au caractère transnational des droits fondamentaux et à une réflexion de plus en plus répandue sur l’humain universel ou les rapports humains universels. Celle-ci traverse les disciplines[14]. Selon Amartya Sen, « envisager les relations humaines uniquement en termes civilisationnels est une simplification » (Sen, 2007). Comme si l’on pouvait classer les individus et définir leur identité en fonction d’un seul critère. Il suffit de prendre l’exemple de l’Inde, définie par Huntington comme appartenant à la civilisation hindoue, alors même que le pays compte plus de musulmans qu’aucun autre pays dans le monde, excepté l’Indonésie et le Pakistan.
Cette visibilité en droit et dans l’espace médiatique de ces affaires contraste avec la quasi absence d’entretiens avec les femmes voilées en France[15].
4. Les caractéristiques intersectionnelles des femmes interrogées à partir de leurs récits : preuve de l’intersectionnalité ?
Les récits mobilisés ici n’évoquent pas des femmes noires mais des femmes d’origine maghrébine et musulmanes. Dans la discussion, il faudrait, selon la grille de Crenshaw, localiser ces femmes maghrébines à l’intersection de considérations raciales (liées à leur origine), de religion (c’est l’originalité de ce cas de figure français) et de classe. Sur ce dernier point, les parents de Fatima et Asma sont ouvriers alors qu’Asma est cadre.
Les récits ne permettent pas d’identifier un groupe ou sous-groupe uniforme des « femmes voilées ». Les caractéristiques qui rapprochent ces femmes existent : d’origine immigrée (citoyennes ou non)[16], de « deuxième génération » et dont les parents étaient d’origine étrangère (Fatima peut-être encore maintenant). Donc la question de l’identité liée à l’histoire de la colonisation est propre à cette intersectionnalité à la française[17].
Comme aux États-Unis, la difficulté des procès « intersectionnels » est de prouver la discrimination lorsqu’elle repose sur plusieurs critères et empêche de mener la comparaison avec d’autres personnes dans une situation similaire. C’est la raison des multiples recours qui ne reconnaissent pas finalement la discrimination multiple ou intersectionnelle en France, même si Asma a gagné son procès. Un début d’évolution est perceptible, Fatima ayant obtenu gain de cause à l’ONU et une sanction non contraignante pour discrimination intersectionnelle. En outre, la stratégie de la Commission européenne sur l’égalité Femmes-Hommes de 2020 prévoit la lutte contre les discriminations intersectionnelles comme l’une de ses priorités[18]. Comme aux États-Unis, les discours féministes majoritaires ne sont pas de leurs côtés. Mais à la différence des États-Unis, la question des amalgames entre islam et terrorisme ajoute un élément politique de renforcement des stéréotypes de la femme voilée, comme un danger possible pour l’ordre public à l’image des jeunes hommes noirs aux États-Unis.
II. La mise en récit des plaignantes entre droit et sociologie : l’intérêt d’une grille de lecture interdisciplinaire nouvelle ?
La démarche interdisciplinaire entre sociologie et droit, entreprise dans cette étude, présente un intérêt afin de comprendre la portée et les limites de la théorie de l’intersectionnalité comme grille de lecture commune des juristes, politistes ou sociologues. En même temps, cette étude permet de comprendre que les enjeux de l’intersectionnalité traduisent des considérations à la fois structurelles et relationnelles. Or ces deux dimensions sont des préoccupations essentielles des chercheurs en droit et en sociologie.
1. L’intérêt de l’analyse intersectionnelle comme point de départ d’une approche interdisciplinaire
Notre méthodologie présente un intérêt car elle met en place deux dialogues : celui du juriste avec le sociologue et celui des chercheurs avec les plaignantes voilées pour recueillir leurs narrations.
1.1. L’enjeu de l’approche intersectionnelle en droit et en sociologie : le prétexte d’un vrai dialogue entre sociologues et juristes
L’intérêt d’une analyse interdisciplinaire des situations intersectionnelles des femmes plaignantes voilées est de comparer le courant de juristes féministes, ledit critical race feminism dont Crenshaw est la figure emblématique (Wing, 1997), avec la démarche sociologique entreprise en France portant sur l’étude des mécanismes individuels et institutionnels de subordination des femmes (classe et sexe) (Kergoat, 2012). En effet, dans un cadre éminemment formalisé, celui du procès, l’intérêt est de « restituer la parole, diverse et même contradictoire, de femmes musulmanes » (Hennette-Vauchez, 2017) inscrites dans « des modes de régulation dont fait l’objet le port du voile en France », comme l’ont montré Wing et Smith sur le port du voile à l’école (2006).
Cette approche contextuelle, une des caractéristiques de l’approche intersectionnelle qui défie les théories de la justice dont celle de Martha Nussbaum (Atrey, 2018), est féconde car, dans le cadre du procès, comme l’a dit la juge dissidente de la Cour européenne des droits de l’homme dans un procès contre la Turquie, souvent « la voix des femmes est absente, celles qui portent le foulard comme celles qui choisissent de ne pas le porter » (Hennette-Vauchez, 2017 : 338)[19], leur parole étant considérée irrecevable, délégitimée par l’oppression.
En outre l’approche contextuelle de l’action en justice révèle que la parole est complexe, diversifiée, souvent délaissée par une « lecture univoque du sens qu’il convient d’attacher au port du voile » (Ibid. : 350). On sait, en sociologie de la religion, notamment depuis une perspective de genre, « que la religion n’existe pas sur un mode univoque » (Ibid. : 352 ; Rochefort et Sanna, 2013 ; Rochefort, 2007).
Hormis la question des rapports complexes entre égalité et reconnaissance (Dubet, 2016 : 69) que semble refléter l’action contentieuse de ces femmes plaignantes et le défi de l’échange entre les personnes que posent les revendications d’identité religieuse[20], le critical race feminism prend comme point de départ le refus net de tout essentialisme de la femme (Hennette-Vauchez, 2017 : 344) : la femme n’existe pas ; il y a des femmes – des statuts de femmes, des expériences de femmes, des désirs de femme, des éducations de femmes, des géographies de femmes, des histoires de femmes, des engagements de femmes, etc. En particulier, « la variété de ces expériences se donne à voir sur un spectre racial global dès lors que les situations particulières dans lesquelles se trouvent ici et là les femmes blanches, noires et brunes diffèrent largement autant, entre elles, que diffèrent généralement les situations particulières des hommes et des femmes » (Ibid.). En outre, cette diversité des expériences selon la race renvoie à une diversité qui s’organise selon des logiques de classe ; il est à noter de ce point de vue que c’est une richesse du critical race feminism par rapport aux autres mouvements critiques – y compris le féminisme – que d’avoir d’emblée fait davantage de place à la question sociale et ses implications sur l’inégalité (Davis, 2007 ; Dorlin, 2009). Le glissement souvent opéré de la question sociale à la question raciale (Fassin et Fassin, 2009) est revisité par un cadrage à partir du genre.
Se rajoutent en France et en Europe, des spécificités du contexte qui permet de comprendre à la fois les résistances à la grille de lecture américaine de l’intersectionnalité et l’intérêt de celle-ci. En effet, la réflexion juridique et sociologique, à quelques exceptions près (Cerrato Debenedetti, 2018), évite la question de la discrimination raciale mais aussi celle de l’incidence de la colonisation, que révèle le port du voile comme affirmation de ses origines pour les personnes nées en France de la « deuxième ou troisième génération ». L’approche intersectionnelle invite à localiser, cartographier ce qui n’est pas visible dans le raisonnement juridique et sociologique du procès et de la situation de ces femmes voilées, trop rapidement cantonnée à la question de l’oppression masculine et religieuse (Delphy, 2004). Ces procès mobilisent certes une nouvelle génération de discriminations liées au besoin de reconnaissance (Dubet, 2016 ; Lyon-Caen, 2013 : 57), moins attachée aux caractéristiques inhérentes à la personne. Cependant, pour d’autres observateurs, c’est la multiplication des critères de discrimination prohibés en France qui exige un approfondissement de la réflexion sur les rapports entre discrimination intersectionnelle et discrimination multiple, une notion qui est plus familière en Europe[21].
La réflexion sur l’intersectionnalité dans le cadre de ces procès centralise la recherche interdisciplinaire sur la situation de la plaignante sans l’esquiver. Cette parole donnée aux salariées illustre en creux que la discussion sur l’égalité, au-delà des normes de diversité, porte de plus en plus sur l’émergence des normes d’entreprise qui internalisent la neutralité comme mode d’organisation de l’innocence de l’entreprise (Green, 2016 : 42). Les droits fondamentaux des salariés face à l’émergence des droits fondamentaux de l’entreprise et de la « liberté d’entreprise », comme le mentionne la Cour de justice de l’Union européenne dans l’autre arrêt belge sur le voile où la règle de neutralité a été considérée comme existante au moment de l’affaire[22]. Il en est de même avec l’État. L’intérêt du cadre d’analyse intersectionnelle révèle également un rapport fort à l’État, garant des institutions judiciaires : la parole de la plaignante n’est pas celle d’un sous-groupe, malgré le soutien associatif, elle conforte la confiance dans le jeu des institutions publiques de défense des droits dans un contexte d’amalgame (l’évocation du terrorisme) qui frôle la crise religieuse[23].
1.2 Une réflexion sur la méthode par entretiens
L’entretien est une méthode propre à la sociologie empirique qui a depuis longtemps gagné ses lettres de noblesse : il est une procédure d’investigation à part entière et non plus une simple exploration préalable à la mise au point d’un questionnaire (Pierret, 2004). Les juristes empruntent parfois cette méthode dans une perspective interdisciplinaire et comparée (Mercat-Bruns et Perelman, 2015 ; Mercat-Bruns, 2016).
La sociologie du droit en France peut envisager le parcours et la situation des plaignant(e)s, notamment dans le cadre des discriminations (Israël, 2009 ; Chappe, 2019). Mais notre approche s’inspire davantage de nouveaux travaux nord-américains du courant law and society, menés par des juristes et sociologues et qui tirent des entretiens avec les plaignant-e-s une analyse des limites du droit de la non-discrimination dans sa mise en œuvre. Il s’agit d’éclairer le « droit en action » plutôt que le droit « dans les livres » (Berrey et Nelson, 2018).
Notre démarche part non pas d’une étude de l’effectivité du droit de la non-discrimination vis-à-vis des plaignantes dans un procès sur la discrimination religieuse au travail mais s’intéresse plutôt à l’exploration de l’effectivité de la théorie de l’intersectionnalité en droit et en sociologie. Ainsi, à l’image de la théorie intersectionnelle qui s’appuie sur de situations concrètes de désavantage dans les procès, notre approche part du contexte des narrations des plaignantes des affaires Baby Loup et Micropole grâce à des entretiens biographiques non directifs, à l’image des récits de vie, méthode développée et théorisée par Daniel Bertaux.
D’autres études étrangères ont également exploré la situation des femmes musulmanes dans leur quête de justice, notamment en Inde mais davantage pour observer les multiples dimensions de leur activisme prenant appui sur le contentieux stratégique (Tschalaer, 2017 : 40). Or notre champ de recherche n’est pas centré sur « les femmes voilées ». Il est davantage attaché à la pertinence du paradigme de l’intersectionnalité dans le contexte français qui suppose d’observer la perception des femmes voilées et de leur trajectoire dont le procès a « visibilisé » la dimension intersectionnelle.
2. L’intérêt d’une mise en perspective de l’analyse intersectionnelle au profit d’une analyse relationnelle
Le droit et la sociologie ont envisagé des grilles de lecture relationnelles qui permettent de réfléchir autrement aux situations intersectionnelles.
2.1 Les rapports entre la théorie de l’intersectionnalité et la sociologie relationnelle
Comme nous l’évoquions en introduction, l’on sait que la réception de l’intersectionnalité en France ne va pas sans difficultés. Même si une partie du mouvement féministe ainsi que du monde académique a pu s’en emparer (en témoigne le rôle joué par nombre d’associations de défense du droit des femmes dans la société civile, par le réseau thématique RT24 de l’Association française de sociologie ou encore par un manuel des études de genre devenu une référence centrale dans le monde académique) (Bereni, Chauvin, Jaunait et Revillard, 2012), la centralité du concept de « race » dans l’intersectionnalité américaine rend difficile son adoption dans le contexte français. Les deux justifications de cette résistance hexagonale souvent données concernent le fait que : i) l’histoire américaine n’est pas l’histoire française ; ii) il existerait un risque de dilution des enjeux propres au féminisme dans une approche qui leur ferait perdre leurs spécificités. On peut sans doute affirmer que le courant majoritaire du féminisme en France a refusé de s’approprier une approche imbriquant les rapports sociaux de domination au point parfois de refuser de les distinguer (c’est la question de la consubstantialité) (Kergoat, 2012).
De plus l’intersectionnalité est souvent perçue comme une approche structurelle, dans laquelle les rapports sociaux seraient donnés une fois pour toutes et la domination serait toujours et partout agissante, bref qu’il n’y aurait aucune possibilité de s’en échapper. On retrouve là des éléments de la critique récurrente faite au paradigme bourdieusien, considérant que celui-ci niait toute possibilité de changement ou d’émancipation. Les acteurs le seraient alors bien peu et ne seraient plus que les « jouets » des rapports de domination. Ainsi l’intersectionnalité ne laisserait aucune place à la création (de soi, de la société), à l’émancipation, et qui plus est, déconnectée de son contexte d’émergence, ne pourrait être pertinente pour la société française.
Or, on peut considérer que cette vision charrie une conception erronée de l’intersectionnalité. Kimberlé Crenshaw elle-même n’est pas hostile à l’usage sociologique que certains sociologues peuvent en faire, en France ou dans d’autres pays. Par exemple, Amel Adib et Yvonne Guerrier s’attachent, à partir de récits de femmes travaillant dans l’industrie hôtelière en Grande-Bretagne, à déployer l’intrication de différentes catégories (le genre, l’ethnicité, la classe ainsi que la nationalité) (Adib et Guerrier, 2003). Ce travail empirique fondé sur des narrations les conduit à décrire les inclusions ou exclusions spécifiques produites par les différentes articulations de pouvoir et leur conclusion est sans ambiguïté : « les représentations genrées et autres au travail ne sont pas construites comme un processus qui ajoute de la différence à la différence, dans lequel les catégories sont considérées comme distinctes et fixes. Ce qui émerge plutôt c’est la négociation des multiples catégories qui forment les identités au travail, existant et évoluant simultanément ».
À propos de la réticence française à la notion de « race », des auteurs comme Christine Delphy (qui elle-même est à l’origine du mouvement féministe français), Eric Fassin ou encore Elsa Dorlin (qui a grandement contribué à introduire l’intersectionnalité en France) ont démontré l’importance de prendre en compte la question « raciale » dans l’Hexagone.
Enfin et surtout nos narrations montrent que si les plaignantes sont prises dans des rapports sociaux de domination (il y a bien du structurel agissant qui détermine quelque chose de leurs vies), elles font aussi la preuve, par des voies et moyens différents, d’une possible émancipation, voire une forme de résilience en dépit des désavantages dont on pourrait dire qu’elles sont porteuses. La prise en compte de chacune des situations de ces deux femmes, de leurs trajectoires et de leurs contextes de vie leur permet de contester la « domination » pour construire des parcours qui échappent pour partie au destin social qu’une sociologie de la reproduction pourrait leur prédire. Nos narrations montrent ainsi à la fois la nécessité de mobiliser des éléments d’une analyse structurelle et, dans le même mouvement, de considérer le système relationnel concret dans lequel ces deux femmes sont prises aux différents moments de leurs vies : les différents éléments structurels qui déterminent leurs actions ne sont pas non plus nécessairement les mêmes aux différents moments de leurs vies.
C’est par exemple la manière dont Tania Angeloff envisage l’intersectionnalité : il s’agit bien de considérer cette approche comme « du relationnel – ou rapport social à géométrie variable de domination, et non comme une structure (fixe) de domination à géométrie variable »[24]. Une approche diachronique, via une analyse de trajectoire, s’impose pour appréhender au mieux les nuances et variations de ce rapport social de domination à géométrie variable. Diachronie et synchronie doivent nourrir une approche intersectionnelle, ce que ne fait pas l’analyse intersectionnelle dans sa version américaine ni celle que l’on évoque le plus souvent en France (et qui permettent, voire justifient alors les critiques qui lui sont faites). Les rapports sociaux ne sont pas fixes ni donnés une fois pour toutes. Par exemple, lorsque Fatima décide de porter le foulard pour la première fois c’est bien en raison d’une intrication de relations dans laquelle elle se trouve prise à ce moment-là : système familial, rapport avec sa sœur (différence de traitement entre sa sœur et elle par son père), lieu d’habitation. Elle affirme d’ailleurs au moment de l’entretien qu’au fond, elle ne saurait pas dire aujourd’hui pourquoi, à cette époque, elle a fait cela. Plus tard elle portera le foulard pour d’autres raisons. La plurivocité est donc présente chez une même personne[25]. Le voile est présenté comme un vecteur d’identité performative.
On peut considérer que cette perspective s’inscrit « à sa manière »[26] dans un programme de recherche qui vise à faire émerger une sociologie relationnelle, dépassant les classiques oppositions (individu versus société, sujet versus objet, etc.) et centrant son regard sur les relations plus que sur les substances[27]. On pourrait d’ailleurs avancer que, en France, Danielle Kergoat dans ses travaux fondateurs sur la consubstantialité des rapports sociaux (« rapports sociaux consubstantiels ») faisait, bien avant l’émergence de l’intersectionnalité, un pas dans cette direction en insistant sur l’importance des relations pour comprendre la réalité (concrète et située) de la « domination ». Mais l’utilisation du mot « substance » renvoie, surtout à cette époque, à quelque chose de l’ordre d’une essence, c’est-à-dire, à quelque chose d’immuable, donné une fois pour toutes : la voie est alors toujours ouverte pour la critique de la réification des structures. Au fond, on pourrait considérer Kergoat comme une précurseure de l’intersectionnalité, y compris dans sa dimension que nous cherchons ici à faire advenir, à savoir une intersectionnalité qui n’oublie pas la dimension relationnelle de l’analyse concrète des rapports sociaux[28]. Pour elle, « sexe » et « race » ne constituent pas des catégories, qui tendent à réifier ce dont elles veulent rendre compte, mais des rapports sociaux. Il y a différentes hiérarchisations des rapports sociaux en fonction des différentes sociétés et aussi en fonction d’époques différentes.
Ainsi on pourrait avec Tania Angeloff définir l’intersectionnalité à la française comme une approche décrivant des relations de domination articulées et imbriquées, à géométrie variable dans le temps, car s’inscrivant dans des trajectoires en perpétuelle évolution. L’intersectionnalité « à la française » (ou relationnelle) pourrait permettre justement d’éviter ce processus de réduction à une catégorie puisqu’elle prend en compte la situation, la trajectoire et les relations (et pas seulement les rapports sociaux) afin de produire une interprétation du monde social. Bref, cette conception de l’intersectionnalité la rend compatible avec une sociologie interactionniste.
2.2 Les rapports entre la théorie intersectionnelle et les théories critiques du droit qui envisagent les relations
Certaines théories critiques du droit comme révélateur de conflits de pouvoirs, développées à l’étranger, peuvent contribuer à éclairer une épistémologie de la relation dans le champ juridique en dehors de la théorie intersectionnelle : les théories du féminisme relationnel, notamment celle de Martha Minow (Belleau, 2001), la théorie de Martha Fineman sur la vulnérabilité de la condition humaine (2011) et les études de théorie du droit queer[29] sur la performativité de l’identité qui saisissent la personne et sa sexualité au-delà du sexe et du genre (Fineman, Jackson et Romero, 2009). Ces courants semblent faire écho à certaines préoccupations de la sociologie relationnelle.
À l’instar des féministes intersectionnelles (antiracistes), « l’approche des féministes relationnelles prend pour acquis que les traits qui distinguent les hommes et les femmes constituent des manifestations de relations issues de constructions sociales et non des traits immuables et naturels. Le féminisme relationnel considère l’individu comme produit d’un tissu social complexe dans lequel il se forme en même temps qu’il participe à la construction de son identité propre à travers des relations interpersonnelles et politiques » (Belleau, 2001 : 17). Cette grille de lecture semble féconde pour mieux comprendre la situation des femmes voilées interrogées dans le cadre de cette enquête.
L’éclairage du féminisme relationnel en droit
Martha Minow (1990) met ainsi en rapport les problèmes ancrés dans les relations entre les personnes et les institutions sociales (entreprise, école, espace public) et regarde les racines du traitement de la différence en droit. Cette vision relationnelle de la différence peut ainsi recadrer les débats sur la préséance de l’égalité formelle ou concrète (ce qu’elle nomme le « dilemme de la différence ») avec une analyse des manières dont les institutions construisent et utilisent les différences pour justifier et renforcer les exclusions – et les façons dont ces pratiques institutionnelles peuvent évoluer. Elle rejoint l’idée que les discriminations sont systémiques (Mercat-Bruns, 2015) et que pour que l’égalité soit inclusive, elle doit prendre en compte la dynamique des relations au-delà de l’échelle individuelle qui impute la différence à la personne. L’auteure cherche, comme la théorie intersectionnelle, à « localiser », à situer la source de la différence et emprunte sa démarche à d’autres auteurs évoluant dans d’autres disciplines[30]. Dans notre exemple des plaignantes voilées, le rôle central du juge peut être considéré aussi dans une perspective relationnelle car la dynamique singulière et médiatique du procès de ces femmes et du « droit en action » n’est pas forcément prise en compte dans le traitement plutôt uniforme de leur situation hors norme par le système judiciaire[31].
À la différence de la théorie intersectionnelle, l’apport majeur du droit dans cette épistémologie de la relation est à la fois de participer à la déconstruction des entraves à la relation, au tissu relationnel qui est identifié dans les récits des femmes voilées et aussi de permettre d’envisager des espaces, des lieux pour nourrir, construire, faciliter l’échange, la médiation sur le traitement des relations observées. L’intérêt de l’approche relationnelle en droit est alors de proposer de nouvelles normes comme éventuels outils d’inclusion, une fois que l’analyse des relations qui font la différence sont identifiées, plutôt que de partir de la différence stigmatisante associée aux personnes exclues, comme c’est le cas des femmes voilées. À l’instar de « l’aménagement raisonnable » des personnes handicapées au travail[32], concept/norme inspiré des travaux de Minow dans une loi de 1990 aux États-Unis, le féminisme relationnel envisagerait l’accès des femmes voilées à des lieux, des espaces de médiation ou dialogue permettant ainsi l’inclusion au travail, ce que semblent réclamer les plaignantes voilées dans leurs récits, au-delà du débat binaire « pour ou contre le voile ». La quête de reconnaissance de leur situation singulière pourrait au moins être traitée avec elles et non à côté d’elles, par le procès.
L’éclairage des rapports propres à la vulnérabilité de la condition humaine
Selon la théorie de Martha Fineman sur la vulnérabilité propre à la condition humaine, qui revêt également une dimension relationnelle, le droit présume toujours la primauté de la personne comme sujet doté d’une autonomie de la volonté et cela conditionne l’ensemble des normes de référence du droit civil et du droit social à partir desquels est évaluée la personne (2008). Or tout individu, même capable, nécessite un accompagnement, un éclairage dans le cadre de décisions plus ou moins délicates selon le contexte (éducation, emploi, santé, etc.). En effet, l’incapacité, l’inaptitude, l’invalidité pour ne citer que celles-ci partent d’un modèle du travailleur, du retraité, de l’étudiant, de l’enfant qui nie le fait que toute personne est potentiellement fragile, vulnérable à un moment donné car là est le propre de la condition humaine. Si les valeurs communes qui fondent la façon de penser la personne et la société résident dans la façon de concevoir la vulnérabilité, cela oblige à réorienter les politiques de façon transversale sur les institutions et les autorités publiques en charge de la gestion des risques de vulnérabilité (Fineman, 2012 : 1713). Dans cette perspective éminemment relationnelle de l’individu interdépendant confronté quotidiennement à des choix difficiles, la question des manifestations des pratiques religieuses au travail exigerait que les institutions, l’État, les entreprises, anticipent la gestion de ces situations face aux risques de vulnérabilité liés à l’exclusion du travail qu’elles peuvent produire, en dehors d’une règle uniforme de neutralité transversale. Encore une fois, quels groupes de dialogue, quel questionnement à l’école posent le problème concret des pratiques religieuses manifestées au travail en termes de vulnérabilité des collègues exposés ou de vulnérabilité des femmes voilées elles-mêmes ? Et cela en dehors de la gestion du risque de discrimination issu des rapports de domination masculine ou des atteintes à la liberté d’entreprise en l’absence de neutralité religieuse face à la clientèle ?
L’apport de la théorie queer sur l’identité et une perspective relationnelle des femmes voilées plaignantes
La théorie queer qui postule la fluidité de l’identité liée à la sexualité et non la fixité des identités de genre liées au sexe (Butler, 1990) s’applique à l’analyse critique du droit. Pour certains auteurs, elle est éminemment relationnelle (Romero, 2009). La grille de lecture queer dans un contexte juridique observe la personne, et non l’état des personnes, de façon dynamique, toujours en relation avec autrui et son environnement. En général, elle met en lumière la variété des modes de domination de l’humain et leur imbrication[33]. L’idée est de déconstruire les discours dominants sur la subjectivité humaine, surtout celle associée au genre et à la sexualité en montrant leur contingence historique et l’incohérence des constructions sociales sur le sexe et le genre qui peuvent être en tension entre recherche d’égalité formelle et reconnaissance de la différence biologique.
On peut retrouver dans l’identité performative décrite par les deux plaignantes dans leur récit sur les justifications du port du voile, une dimension presque queer sur leur rapport singulier à l’identité, à l’histoire coloniale, qui ne serait pas comprise et qui aurait suscité le procès car elle ne cadre pas avec les revendications classiques des femmes au travail et des hommes au travail. Ainsi l’idée serait que les femmes voilées plaignantes dans leurs récits singuliers revendiquent une autonomie dans l’espace du travail et de rapport à la justice, en dépit d’une apparence qui dérange, qui n’est pas conforme aux luttes traditionnelles de promotion de l’égalité femmes-hommes dans l’emploi (Mattiussi, 2016). Dans cette perspective, elles se rapprochent davantage des revendications de certaines personnes au travail qui se considèrent « non binaires ». Pour ces dernières, il s’agit d’un refus de remplacer une forme de domination par une autre (homme/femme ou masculin/féminin) et, en plus, d’accepter l’absence de catégorisation par le sexe ou le genre comme condition des rapports humains. Les personnes expriment plus une fluidité, une transformation possible de leur identité, une identité instable qui varie selon le contexte de leurs actions avec les autres. Certes, les femmes voilées plaignantes ne se situent pas dans une revendication de reconnaissance de leur émancipation sexuelle comme gage d’une identité performative. Mais, certains éléments des récits des femmes voilées qui acceptent l’action en justice, qui ne s’identifient pas à un groupe, qui expriment des ambivalences dans leur discours, semblent faire écho aux représentations actuelles de la fluidité des identités personnelles de toute une jeune génération ainsi qu’à leur attachement avant tout à la continuité des relations qui se nouent dans leur vie personnelle et professionnelle, au-delà des statuts liés à l’âge et au sexe de la personne (Clarke, 2019).
III. Conclusion
Ces entretiens ont permis de donner la parole à deux femmes voilées plaignantes, ainsi qu’à l’avocate, également voilée, de l’association qui les accompagnait. Ces récits, qui prennent en compte plusieurs dimensions de leur vie, ne reflètent pas, bien sûr, toutes les situations des femmes voilées mais sont l’occasion d’exposer, à partir de ces deux cas que l’on peut considérer comme emblématiques (l’affaire Baby Loup pouvant être considérée comme idéal-typique de l’expression des différents points de vue, en France, sur ce sujet), une démarche qui s’inspire de la grille de lecture intersectionnelle et qui propose aussi une nouvelle façon d’aborder la relation entre droit et sociologie. C’est bien la question de la pertinence, ou non, de l’approche intersectionnelle en contexte français qui constitue notre objet et non « la » femme-voilée.
Ce travail contribue aux tentatives de dépassement de l’opposition, trop simpliste de notre point de vue, entre une histoire américaine qui pourrait être éclairée de manière heuristique par l’intersectionnalité, et une histoire française à laquelle l’intersectionnalité ne pourrait en rien contribuer. La méthode des récits biographiques, un dialogue constant entre les évolutions récentes du droit et une sociologie empirique prenant en compte les situations concrètes de manière fine, constituent une piste pour avancer dans la compréhension, spécifique si l’on veut, de la « question raciale » en France. Ce travail, via la construction d’un paradigme intersectionnel, ouvre sur une épistémologie de la relation. Il faudra dès lors se confronter à d’autres terrains, d’autres situations où se manifestent des enjeux d’égalité et de discriminations multiples, comme la situation en France des femmes migrantes, des femmes âgées ou des jeunes hommes d’origine étrangère dans les quartiers périphériques de Paris. L’intersectionnalité « à la française » que nous proposons ici doit faire l’épreuve face à d’autres situations, à la fois pour tester sa falsifiabilité et aussi sa pertinence.
Au moment où la question raciale prend aux États-Unis une tournure, semble-t-il, inédite[34], élaborer un paradigme de l’intersectionnalité qui soit en mesure de prendre en compte de manière rationnelle et raisonnable (c’est-à-dire non idéologique) le paramètre « racial » est déterminant pour la construction de politiques publiques ayant pour horizon une analyse plus systémique de l’égalité (Mercat-Bruns, 2020 : 25). Comme le relève le Défenseur des droits dans plusieurs rapports récents, les questions des origines et de l’accès au droit en France sont au cœur de la construction de la cohésion sociale[35].
Bibliographie
Adib A. et Guerrier Y., 2003, « The Interlocking of Gender with Nationality, Race, Ethnicity and Class: the Narratives of Women in Hotel Work », Gender, Work and Organization, vol. 10, n° 4, August, p. 413-432.
Atrey S., 2018, « Women’s Human Rights: From Progress to Transformation, An Intersectional Response to Martha Nussbaum », Human Rights Quarterly, vol. 40, n° 4, November, p. 859-904.
Belleau M.-C., 2001, « Les théories féministes : droit et différence sexuelle », Revue trimestrielle de Droit civil, n° 1, p. 1-35.
Bereni L., Chauvin S., Jaunait A. et Revillard A., 2012, Introduction aux études de genre, Bruxelles, De Boeck.
Berrey E., Nelson R. et Nielsen L., 2018, Rights on Trial: How Workplace Discrimination Law Perpetuates Inequality, Chicago, University of Chicago Press.
Bertaux D., 1997, Les récits de vie. Perspective ethnosociologique, Paris, Nathan.
Best R.K, Edelman L.B., Krieger L.H. et Eliason S., 2011, « Multiple Disadvantages: An Empirical Test of Intersectionality Theory », Law and Society Review, vol. 45, n° 4, p. 991-1025.
Bilge S., 2018, « Intersectionnalité », in P. Savidan (dir.), Dictionnaire des inégalités et de la justice sociale, Paris, Presses universitaires de France, p. 803-810.
Bohlen C., 2013, « Worldliness, Anxiety and Head Scarves », The New York Times, 29 mars.
Butler J., 1990, Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, London, Routledge.
Carbin M. et Edenheim S., 2013, « The intersectional turn in feminist theory: A dream of a common language? », The European Journal of Women Studies, vol. 20, n° 3, p. 233-248.
Chappe V.-A., 2019, L’égalité au travail. Justice et mobilisations contre les discriminations, Paris, Presses des Mines.
Clarke J.A., 2019, « They, them, theirs », Harvard Law Review, n° 132, p. 894-991.
Cerrato Debenedetti M-C., 2018, La lutte contre les discriminations ethno-raciales en France : de l’annonce à l’esquive (1998-2016), Rennes, Presses universitaires de Rennes.
Crenshaw K., 1989, « Demarginalizing the Intersection of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics », University of Chicago Legal Forum, vol. 1989, n° 1, p. 139-167.
Crenshaw K., 2016, « Les voyages de l’intersectionnalité », in F. Fassa, E. Lépinard, M. Roca i Escoda (dir.), L’intersectionnalité : enjeux théoriques et politiques, Paris, La Dispute, p. 29-51.
Davis A., 2007, Femmes, Race et Classe, Paris, Editions des Femmes.
Dorlin E. (dir.), 2009, Sexe, race, classe. Pour une épistémologie de la domination, Paris, Presses universitaires de France.
Daugareilh I., 2011, « Les discriminations multiples : une opportunité pour repenser le droit à la non-discrimination », Hommes & Migrations, n° 1292, p. 34-47.
Delmas C., 2019, L’appréhension des convictions religieuses par les juges judiciaires, Thèse en droit public, Université Lyon II.
Delphy C., 2004, Le foulard islamique en questions, Paris, Éditions Amsterdam.
Dubet F., 2016, Ce qui nous unit : discriminations, égalité et reconnaissance, Paris, Seuil.
Fassin D. et Fassin E. (dir.), 2009, De la question sociale à la question raciale : représenter la société française, Paris, La Découverte.
Fineman M.A., 2008, « The Vulnerable Subject: Anchoring Equality in the Human Condition », Yale journal of law and feminism, vol. 20, n° 1, p. 1-23
Fineman M.A., 2011, The Vulnerable Subject: Anchoring Equality in the Human Condition, Princeton University Press.
Fineman M.A., 2012, « Beyond identities: the limits of an antidiscrimination approach to equality », Boston University Law Review, n° 92, p. 1713-1770.
Fineman M.A., Jackson J. et Romero A., 2009, Feminist and Queer Legal Theory: intimate encounters, unconfortable conversations, New York, Ashgate.
Emirbayer M., 1997, « Manifesto for Relational Sociology », American Journal of Sociology, vol. 103, p. 281-317.
Green T., 2016, Discrimination Lawyering: The Rise of Organizational Innocence and the Crisis of Equal Employment Opportunity Law, Cambridge, Cambridge University Press.
Jaquet C., 2014, Les Transclasses ou la non reproduction, Paris, Presses universitaires de France.
Kergoat D., 2012, Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute.
Halley J., 2006, Split Decisions: How and Why to Take a Break from Feminism, Princeton, Princeton University Press.
Halley J., Kotiswaran P., Shamir H. et Thomas C., 2006, « From the international to the local in feminist legal responses to rape, prostitution/sex work, and sex trafficking: four studies on contemprorary governance feminism », Harvard Journal of Law & Gender, n° 29, p. 336-360
Halley J., Parker A. (eds.), 2011, After Sex? On Writing Since Queer Theory, Durham, Duke University Press.
Hennette-Vauchez S., 2017, « Réflexions sur la régulation juridique du fait religieux : comment lire l’interdiction du voile au prisme du Critical Race Feminism », in H. Bentouhami et M. Möschel (dir.), Critical Race Theory : une introduction aux textes fondateurs, Paris, Dalloz, 2017, p. 343-355.
Honneth A., 2007, La réification. Petit traité de théorie critique, Paris, Gallimard.
Huntington S., 1997, Le Choc des civilisations, Paris, Odile Jacob.
Israël L., 2009, L’arme du droit, Paris, Les presses de Sciences Po.
Laurent S., 2020, Pauvre petit Blanc. Le mythe de la dépossession raciale, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, 2020.
Lyon-Caen A., 2013, « Variations sur la discrimination ou le pluriel derrière le singulier », in G. Borenfreund et I. Vacarie (dir.), Le droit social, l’égalité et les discriminations. Thèmes et commentaires, Paris, Dalloz, p. 55-58.
Mattiussi J., 2016, L’apparence de la personne physique : pour la reconnaissance d’une liberté, Thèse en droit privé, Université Paris I Sorbonne.
Mercat-Bruns M., 2015, « L’identification de la discrimination systémique », Revue du droit du travail, novembre, p. 672-681.
Mercat-Bruns M., 2016, Discrimination at Work: Comparing European, French and American Law, Berkeley, University of California Press.
Mercat-Bruns M., 2020, « Les différentes figures de la discrimination au travail : quelle cohérence ? », Revue du droit du travail, p. 25-41.
Mercat-Bruns M. et Perelman, J., 2015, Étude de la mise en œuvre de la non discrimination par les institutions et les juridictions, Rapport GIP Justice, CEVIPOF/CERSA.
Michéa F., 2003, Cohésion sociale et droit communautaire, Thèse en droit public, Université de Rennes.
Minow M., 1990, Making the Difference: Inclusion, Exclusion and American Law, Ithaca, Cornell University Press.
Minow M., 1997, Not Only for Myself: Identity, Politics and the Law, New York, The New Press.
Möschel M., 2014, « L’intersectionnalité dans le contentieux relatif au domaine de l’emploi », in S. Hennette-Vauchez, M. Pichard et D. Roman (dir.), La loi et le genre : études critiques du droit français, Paris, Editions du CNRS, p. 697-714.
La multiplication des critères de discrimination, 2018, Paris, Colloque du Défenseur des droits.
Pierret J., 2004, « Place et usage de l’entretien en profondeur en sociologie », in D. Kaminski et M. Kokoreff (dir.), Sociologie pénale : système et expérience. Pour Claude Faugeron, Toulouse, Erès, p. 199-213.
Rochefort F. (dir.), 2007, Le pouvoir du genre. Laïcités et religions, 1905-2005, Toulouse, Presses universitaires du Mirail.
Rochefort F. et Sanna M.-E. (dir.), 2013, Normes religieuses et genre, Paris, Armand Colin.
Romero A.P., 2009, « Methodological Descriptions: ‘Feminist’ and ‘Queer’ Legal Theories », in M.A. Fineman, J.E. Jackson et A.P. Romero (eds.), Feminist Legal and Queer Theories, Intimate Encounters, Unconfortable conversations, New York, Ashgate, p. 179-197.
Sen A., 2007, L’Inde. Histoire, culture et identité, Paris, Odile Jacob.
Solanke I., 2010, « Multiple discrimination in Britain: immutability and its alternative », paper delivered to the ERA, 13-14 september, Trèves.
Tschalaer M.H., 2017, Muslim Women’s Quest for Justice: Gender, Law and Activism in India, Cambridge, Cambridge University Press.
Vautier A., 2008, « La longue marche de la sociologie relationnelle », in Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol. 4, n° 1, p. 77-106.
Wing A.K. (eds.), 2000, Critical Legal Feminism: A Reader, New York, New York University Press.
Wing A.K et Nigh Smith M., 2006, « Critical Race Feminism Lifts the Veil? Muslim Women and the Headscarf Ban », UC Davis Law Review, vol. 39, p. 743-785.
Annexe : descriptif des deux contentieux Baby Loup et Micropole
Rappel de l’affaire Baby Loup (Fatima Laaouej c. association Baby Loup) :
Le Conseil de Prud’hommes de Mantes du 13 décembre 2010 considère que le licenciement d’une femme voilée salariée d’une crèche est justifié par une cause réelle et sérieuse en présence d’une clause de « laïcité » dans le règlement intérieur de la crèche et de l’insubordination de la salariée qui ne veut pas retirer son voile. La Cour d’Appel de Versailles (27 octobre 2011) confirme la décision en précisant toutefois que le règlement intérieur peut imposer une règle de neutralité et justifier une atteinte à la liberté religieuse en raison de la prise en charge d’enfants (art. L 1121-1 CT), mais écartant la notion de laïcité qui s’applique dans la sphère publique (il s’agit d’une association).
La Cour de Cassation (le 19 mars 2013, n° 11-28.845) casse la décision de la Cour d’appel de Versailles et réaffirme : « le principe de laïcité n’est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé. Le principe de laïcité ne peut dès lors être invoqué pour priver ces salariés de la protection que leur assurent les dispositions du code du travail. La clause générale de laïcité et de neutralité figurant dans le règlement intérieur étant invalide, le licenciement de la salariée pour faute grave aux motifs qu’elle contrevenait aux dispositions de cette clause constitue une discrimination en raison des convictions religieuses selon l’article 1132-1 CT ». La décision est renvoyée devant la Cour d’Appel de Paris qui résiste le 27 Novembre 2013 et donne raison de nouveau à la crèche Baby Loup en utilisant un autre argument, la crèche serait une entreprise de convictions, non de religion, mais de neutralité : « considérant qu’une personne morale de droit privé qui assure une mission d’intérêt général peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la CEDH et se doter d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel… emportant notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion… ».
Après un nouveau pourvoi en cassation, la Cour de cassation (le 25 juin 2014 N° 13-28369) statue de nouveau en sens inverse et rejette le deuxième pourvoi de la plaignante, donnant raison à la crèche Baby Loup sans se référer aux règles de la non-discrimination cette fois-ci : selon les « articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail, les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Ayant relevé que le règlement intérieur de l’association disposait que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités développées…» par la crèche, la Cour d’appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salarié-e-s, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l’association et proportionnée au but recherché. Certes la Cour de cassation, statuant en assemblée plénière, précise que les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qualifiant l’association Baby Loup d’entreprise de conviction sont erronés, dès lors que cette association avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, « de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d’œuvrer pour l’insertion sociale et professionnelle des femmes […] sans distinction d’opinion politique et confessionnelle ». En revanche, selon la Cour de cassation « la Cour d’appel a pu retenir que le licenciement pour faute grave de Mme X… était justifié par son refus d’accéder aux demandes licites de son employeur de s’abstenir de porter son voile et par les insubordinations répétées et caractérisées… rendant impossible la poursuite du contrat de travail ».
Ayant épuisé les recours internes, la plaignante a ensuite présenté une communication devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU (Comité) en juin 2015 en affirmant que l’État français avait violé les droits qu’elle tient des articles 18 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte). (Comité des droits de l’homme, 10 août 2018, CCPR/C/123/D/2662/2015). Sur la violation de l’article 18 du Pacte (liberté religieuse), l’interdiction faite à une éducatrice de la crèche Baby Loup de porter son foulard sur son lieu de travail est une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté de manifester sa religion. Sur la violation de l’article 26 du Pacte (non-discrimination), le Comité considère aussi que le règlement intérieur de la crèche affecte de façon disproportionnée les femmes musulmanes choisissant de porter un foulard, qu’il constitue donc une « discrimination intersectionnelle basée sur le genre et la religion ».
Rappel de l’affaire Micropole (Asma Bougnaoui c. Micropole) :
Le Conseil de Prud’hommes de Paris a jugé que le licenciement d’une salariée voilée selon l’exigence de la clientèle était justifié par une cause réelle est sérieuse. La Cour d’appel confirme le jugement. Compte tenu de l’affaire précédente, la Cour de cassation (le 9 Avril 2015, n° 13-19.855), sursoit à statuer (suspend le procès) et pose la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l’Union européenne (demandant ainsi un éclaircissement de la CJUE sur l’interprétation du droit européen en matière de discrimination religieuse) :
« L’article 4 §1 de la directive 78/2000/CE du Conseil du 27 novembre 2000 doit-il être interprété en ce sens que constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, le souhait d’un client d’une société de conseils informatiques de ne plus voir les prestations de service informatiques de cette société assurées par une salariée, ingénieur d’études, portant un foulard islamique ? ».
La Cour de justice (le 14 mars 2017 C-188/15 Micropole c. Bougnaoui) donne raison à la salariée rejetant l’application de cette exception à la discrimination.
La Cour de cassation le 22 nov. 2017 n° 13-19.855 tire les conséquences des deux arrêts européens rendus le 14 mars 2017 (CJUE, Asma Bougnaoui, aff. C-188/15 ; 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15 – affaire belge), donne raison à la salariée voilée sur la présence d’une discrimination directe qui ne peut être justifiée par le souhait de la clientèle en l’absence d’une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail. Si une telle clause générale et indifférenciée existe, elle ne doit être appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.
Selon la Cour de cassation, en présence du refus d’une salariée de se conformer à une telle clause dans l’exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l’entreprise, il appartient à l’employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.
- Pierre Lénel, sociologue, est membre du LISE (CNRS-CNAM) ; Marie Mercat-Bruns est maîtresse de conférence en droit privé au CNAM et membre du LISE (CNRS-CNAM).↵
- « Concept méthodologique », « approche », ou « paradigme », il faudrait discuter de l’emploi de ce mot pour qualifier ce champ, foisonnant et riche d’interprétations variées.↵
- L’affaire de la crèche Baby Loup (Chanteloup-les-Vignes) concerne le licenciement d’une salariée, Fatima Laaouej, en 2008 au motif qu’elle portait le foulard islamique, alors que le règlement intérieur de l’association imposait le respect des principes de laïcité et de neutralité à son personnel ; elle donne lieu à plusieurs affrontements judiciaires, des prud’hommes jusqu’au Comité des droits de l’homme de l’ONU (voir le descriptif de l’affaire en annexe). L’affaire Micropole porte sur le licenciement d’une salariée, Asma Bougnaoui, en 2009 travaillant pour un prestataire informatique, au motif qu’elle refusait d’enlever son foulard islamique malgré la demande formulée par le client chez qui elle était en mission ; l’affaire est portée en justice jusqu’à la Cour de justice de l’Union européenne (voir également l’annexe). ↵
- Nous tenons vivement à remercier Catherine Brugel pour la retranscription des entretiens, dont seulement une partie a été utilisée pour ce chapitre. Ces entretiens se sont déroulés à l’automne 2017 en présence d’une avocate, voilée, du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), Lila Charef, qui a pu donc faire part ponctuellement de ses remarques.↵
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée générale de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966 ; Article 26 : « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».↵
- Dans le préambule de la Directive sur l’égalité raciale (Directive 2000/43) et dans celui de la Directive sur l’égalité de traitement en matière d’emploi (Directive 2000/78), on considère que dans « la mise en ouvre du principe de l’égalité de traitement, la Communauté cherche conformément à l’article 3 § 2 du Traité CE à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes, en particulier du fait que les femmes sont souvent victimes de discriminations multiples ».↵
- Pour rendre compte de ce type de trajectoire, même si on peut considérer que celle de Fatima a été interrompue (tout comme d’une autre manière celle d’Asma), on pourrait solliciter les travaux qui développent des réflexions sur les « transclasses » afin de tenter d’objectiver les voies et moyens de l’émancipation qui défient les lois de la reproduction (Jaquet, 2014).↵
- Elsa Dorlin évoque une « surassignation qui les exclut paradoxalement de la norme dominante de la féminité » (2009 : 9).↵
- D’après l’art. 62 de la loi de 2016 : « Lorsque plusieurs personnes placées dans une situation similaire subissent un dommage causé par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée en justice au vu des cas individuels présentés par le demandeur. Cette action peut être exercée en vue soit de la cessation du manquement mentionné au premier alinéa, soit de l’engagement de la responsabilité de la personne ayant causé le dommage afin d’obtenir la réparation des préjudices subis, soit de ces deux fins ».↵
- Honneth, à partir d’une critique de Lukacs, définit la naissance de la réification comme « l’oubli d’une sorte de précondition de notre vie morale, une forme de reconnaissance première qui unit les hommes ».↵
- Voir en annexe la synthèse du jugement du CP Babyloup et des arrêts de Cour d’appel et de cassation dans les deux affaires.↵
- Expression désormais contenue dans l’article L 1132-1 du Code du travail, depuis la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.↵
- Voir l’article L 1321-2-1 du Code du travail.↵
- Les critiques à l’égard de cette thèse sont nombreuses et proviennent d’intellectuels et savants d’horizons divers, de Francis Fukuyama à Edward Saïd. ↵
- Quelques sondages : http://madame.lefigaro.fr/societe/les-salariees-
musulmanes-pratiquantes-ont-elles-un-avenir-professionnel-091015-
98856↵ - Asma Bougnaoui est citoyenne française.↵
- Benjamin Stora tente d’ailleurs un rapprochement entre la situation française et la situation américaine : « l’Algérie était à la France ce que le Sud était aux États-Unis : un territoire où se pratiquait la ségrégation, inclus dans un pays proclamant l’égalité des citoyens. Avec la perte de l’Algérie, on a transféré sur le sol français un comportement sudiste qui va traverser toute la société française » (Le Monde, 20-21 septembre 2020).↵
- https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=COM%3A2020%
3A152%3AFIN.↵ - Voir la décision Leyla Sahin c/Turquie, opinion dissidente § 11.↵
- « Plutôt qu’une communauté liée par une identité commune ou des intérêts communs, les interactions répétées et le contact (exposure) entre des groupes hétérogènes peuvent constituer un adhésif social » (Minow, 1997 : 141).↵
- Voir généralement La multiplication des critères de discrimination, Colloque du Défenseur des droits, 2018.↵
- Voir le paragraphe § 38 de la décision CJUE 14 mars 2017 C‑157/15, Achbita qui cite la liberté de l’entreprise comme fondement de son action : « en effet, le souhait d’un employeur d’afficher une image de neutralité à l’égard des clients se rapporte à la liberté d’entreprise, reconnue à l’article 16 de la Charte, et revêt, en principe, un caractère légitime, notamment lorsque seuls sont impliqués par l’employeur dans la poursuite de cet objectif les travailleurs qui sont supposés entrer en contact avec les clients de l’employeur ». ↵
- Voir la thèse récente sur l’individualisation des convictions religieuses en droit (Delmas, 2019).↵
- Il s’agit d’un document de travail non publié et daté 2019. ↵
- On pourrait ainsi également dire que l’intersection est constituée du point de rencontre entre la structure et la trajectoire individuelle. ↵
- À sa manière car l’approche relationnelle dans ses expressions les plus classiques ne mobilise pas l’idée de rapport social (Emirbayer, 1997 ; Vautier, 2008). De notre point de vue, il serait temps que l’approche intersectionnelle et l’approche relationnelle puissent se rencontrer. ↵
- Nous profitons de cette occasion pour remercier nos collègues du LISE qui, à l’occasion de l’atelier « Approche relationnelle », nous ont permis de débattre des questions de genre sous cet aspect en proposant une définition du féminisme relationnel comme « la dimension sexuée de la relation institutionnalisée de subordination sociale ».↵
- Lors du dernier Congrès de l’Association française de sociologie (Aix-en-Provence, 27-30 août 2019), Danielle Kergoat a d’ailleurs confirmé cette hypothèse en affirmant que ces deux approches « cherchaient à comprendre le croisement de systèmes de domination » (Conférence plénière, 29 août 2019). On pourrait (devrait ?) d’ailleurs considérer que l’analyse et la compréhension du social sont nécessairement relationnels et que de Weber à Latour en passant par Bourdieu ou la « Revue du Mauss », toute (bonne ?) sociologie empirique qui cherche à croiser les points de vue ne peut pas ne pas être « relationnelle ». Si Kergoat n’a pas formulé son approche de cette manière, il nous semble que son travail autorise cette (re)lecture contemporaine de travaux qui maintenant datent de plus de quarante ans. ↵
- Les travaux juridiques sur cette question sont bien entendu inspirés au départ par les travaux de Judith Butler (1990).↵
- Elle évoque, par exemple, les critical legal studies et des auteurs comme Ricoeur, Gilligan, Derrida et Mauss.↵
- Sur le rôle du juge et la situation des plaignants voir (Minow, 1990 : 113).↵
- Par exemple l’introduction du langage des signes pour tous les élèves d’une classe.↵
- Voir notamment les travaux de Janet Halley (Halley et Parker, 2006 ; Halley, 2011) et les travaux sur le parcours et l’identité des femmes indiennes prostituées et les limites de l’efficacité des droits fondamentaux en l’absence d’un action de soutien local (Halley, Koriswarn, Shamir et Thomas, 2005).↵
- Et, dans ce contexte également, le débat est loin d’être clos. D’une Sylvie Laurent qui évoque « un électorat qui appelle de ses vœux à une ‘politique de l’identité blanche’ » (2020 : 31) à un Alain Mabanckou qui affirme « qu’aujourd’hui, ce qui se passe aux États-Unis relève davantage d’une lutte des classes que d’une lutte des races. Si vous êtes noir dans un monde de Blancs et que vous possédez les éléments de cette culture, la couleur devient subsidiaire » (Le Monde, 2 octobre 2020, p. 12, supplément Le Monde des livres).↵
- Défenseur des droits, Discriminations et origines : l’urgence d’agir, juin 2020, https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/rap-origine-num-15.06.20.pdf; Défenseur des droits Multiplication des critères de discrimination : enjeux, effets et perspectives, Actes du colloque, janvier 2018, https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/actescolloq-2018-num-07.01.19.pdf↵