Vécu des discriminations dans l’accès à l’emploi : le rôle des origines et du genre

Un décalage entre catégories statistiques et critères discriminatoires

Yaël Brinbaum[1]

L’accès à l’emploi des jeunes demeure une préoccupation majeure et une priorité des politiques publiques. Les jeunes français issus de l’immigration, nés, scolarisés et socialisés en France devraient connaître les mêmes chances d’accès à l’emploi que les jeunes sans ascendance migratoire. Pourtant les recherches, qui se sont multipliées en France ces dernières décennies, convergent et mettent en exergue les inégalités d’accès à l’emploi de certains groupes : les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Est mis en évidence le surchômage de ces jeunes, en comparaison des Français d’origine de mêmes caractéristiques individuelles et mêmes diplômes (Silberman et Fournier, 1999 ; 2006 ; Brinbaum et Werquin, 1997 ; 2004 ; Frickey et Primon, 2004 ; Meurs et al., 2006 ; Aeberhardt et al., 2010 ; Brinbaum et Guégnard, 2012a ; Brinbaum et Primon, 2013 ; etc.). Ces écarts ont été en partie attribués à des discriminations à l’embauche, discriminations confirmées par des testing (Duguet et al., 2009 ; Petit et al., 2013 ; Foroni et al., 2016 ; etc.).

Ces discriminations selon l’origine ont largement été démontrées avec différentes méthodes dans les dernières décennies, en dépit des limites méthodologiques pour les mesurer (Encadré 1). Ces résultats ont contribué à leur reconnaissance, bien que tardive (Fassin, 2002 ; Simon, 2004) et encore insuffisante. Force est de constater que malgré les directives du droit européen et les avancées en ce domaine (Miné, 2016), les discriminations liées à l’origine et particulièrement les discriminations raciales demeurent prégnantes sur le marché du travail, surtout dans l’accès à l’emploi (Brinbaum, Safi et Simon, 2015 ; Défenseur des Droits, 2020).

Si les écarts d’insertion et les discriminations selon l’origine ont été mis en évidence, reflétant l’hétérogénéité de la catégorie « descendants d’immigrés » ou « issus de l’immigration », relativement peu de travaux ont exploré les inégalités de genre et d’origine, en prenant en compte cette double dimension.

Certains concluent à un cumul des inégalités d’origine et de sexe sur le marché du travail pour les femmes d’origine maghrébine (Dupray et Moullet, 2004 ; Brinbaum et Werquin 2004 ; Frickey et Primon, 2004 et 2006), voire à « une double discrimination » (Meurs et Pailhé, 2008) ; d’autres à des résultats plus mitigés en fonction de l’origine. L’enquête Trajectoires et Origines (TeO) de 2008, centrée sur les immigrés et descendants d’immigrés, permet de prendre en compte la diversité des origines et de comparer des vagues de migration plus ou moins récentes ; elle a montré des différences d’insertion professionnelle, mais aussi de conditions d’emploi des jeunes selon l’origine et le sexe. À caractéristiques socio-démographiques semblables, la surexposition au chômage concerne les deux sexes chez les jeunes originaires d’Afrique du Nord, alors que le sur-chômage s’avère être une expérience masculine et non féminine parmi les descendants de l’immigration subsaharienne ou du sud-est asiatique (Brinbaum et Primon, 2013). La situation inverse est observée parmi les jeunes originaires de Turquie avec une très grande vulnérabilité au chômage des jeunes femmes mais non des jeunes hommes, à caractéristiques similaires. L’analyse séparée des sexes met à jour le caractère sexué et parfois contradictoire de la pénalisation des origines migratoires : les divisions entre origines migratoires ne font pas disparaître pour autant les rapports sociaux de sexe (Ibid.). À partir des enquêtes Emploi récentes, une étude conclue sur le rôle de l’origine, du genre mais aussi de la mixité des parents sur l’accès à l’emploi et la qualité de l’emploi des jeunes : les inégalités sexuées sur le marché du travail ne vont pas toujours dans le même sens selon l’origine (Brinbaum, 2021).

Une étude de testing montre que la discrimination à l’embauche à l’encontre des candidats issus de l’immigration, affecte toutes les candidatures d’origine étrangère[2], que les candidatures féminines sont favorisées par rapport à leurs équivalents masculins et relativement moins affectées par la discrimination d’origine. L’inclusion d’un indice explicite d’aisance linguistique sur les candidatures élimine toute discrimination liée à l’origine pour les femmes, alors que l’effet est plus faible pour les hommes pour qui la discrimination persiste (Edo et Jacquemet, 2013). Une autre étude met en avant les discriminations à l’encontre des candidatures « maghrébines » des deux sexes (Foroni, Ruault et Valat, 2016).

Encadré 1. Mesurer les discriminations

On se référera au chapitre 14 de l’ouvrage TeO pour plus de détails (Brinbaum, Safi et Simon, 2012; 2015).

À la fois complexe à appréhender et à objectiver pour les chercheurs et pour les personnes concernées, la mesure des discriminations demeure difficile. Elle constitue pourtant un enjeu de taille dans la lutte anti-discriminatoire.

Même en cas de prise de conscience des discriminations, reste la difficulté à s’en déclarer victime. Elle peut se manifester de façon indirecte et reste difficile à prouver. Ce qui conduit plutôt à des sous-déclarations (Ibid.).

Outre la question d’objectiver les discriminations, se pose la question de repérer les populations concernées, tout particulièrement pour les personnes françaises d’origine étrangère.

Différentes mesures des discriminations

Les chercheurs utilisent des mesures différentes et complémentaires pour mesurer les discriminations :

1. Le testing, qui reproduit une situation discriminatoire ; cette méthode expérimentale s’est beaucoup développée ces dernières années, tout particulièrement pour mesurer les discriminations à l’embauche (par exemple, Duguet et al., 2009 ; Foroni et al., 2016). Elle consiste à envoyer deux CV identiques, à l’exception d’une caractéristique, par exemple le sexe, l’origine, le nom etc., qui constitue le critère discriminatoire à tester.

Cette méthode comporte des limites. Ainsi, les CV sont fictifs et réalisés dans une situation particulière (une profession, un contexte, une période etc.). Les résultats ne sont pas représentatifs ni extrapolables. Leur construction nécessite une rigueur méthodologique. Par ailleurs, seuls sont connus les deux CV envoyés et non l’ensemble des CV, ce qui empêche de saisir l’ensemble du système ou encore le processus de recrutement.

2. Une mesure estimant les écarts de situation entre les populations potentiellement discriminées et le reste de la population – par exemple, les femmes par rapport aux hommes, ou les personnes issues de l’immigration par rapport à celles de la population majoritaire, à caractéristiques sociodémographiques similaires contrôlées – par exemple âge, sexe, niveau d’éducation, lieu de résidence, etc.). L’objectif est de démêler et mettre en évidence, à partir de modèles statistiques, les facteurs susceptibles d’expliquer les écarts en raisonnant « à situation comparable ». Cette mesure indirecte de la discrimination ou « discrimination statistique » a été très utilisée ces dernières décennies pour analyser les inégalités d’accès à l’emploi, de salaire, de carrières etc. à partir des enquêtes statistiques ; une partie des écarts inexpliqués, le résidu, étant attribuée à la discrimination. Il s’agit d’une partie seulement de ces écarts entre groupes, dans la mesure où ils peuvent être liés à d’autres facteurs tels que l’inégal accès aux réseaux, des comportements non observables, etc. Cette mesure constitue une mesure indirecte, qui ne prend en compte que les caractéristiques observables dans l’enquête.

3. Une mesure subjective fondée sur les déclarations des individus qui permet d’appréhender une expérience discriminatoire vécue comme telle, un ressenti. Cette expérience nous intéresse pour comprendre la façon dont les personnes la vivent, à quels motifs ils la rapportent etc. La mesure subjective, que nous allons analyser dans ce chapitre, n’est finalement pas déconnectée des conditions et caractéristiques objectives à l’embauche et dans le travail (Brinbaum et Guégnard, 2011 ; Primon, 2011 ; Brinbaum et Primon, 2015). Cette expérience peut avoir aussi des conséquences à différents niveaux (personnel, collectif, social).

L’enquête TeO a distingué les discriminations auto-reportées – indicateur global construit à partir de questions directes qui utilisent le terme discrimination – et les discriminations situationnelles – reconstruites à partir de deux questions sur les inégalités de traitement dans des situations précises (éducation, accès à l’emploi, travail etc.) et les motifs qui lui sont associés. Elle a alors montré une sous-déclaration des discriminations à partir du premier indicateur. La question directe sur l’expérience de la discrimination conduit les enquêtés à sous-estimer l’exposition au phénomène.

Repérer les populations selon leur origine 

Outre la question de la mesure des discriminations, existent les difficultés de repérer les populations concernées. Si les critères discriminatoires se sont développés à l’aune du droit européen, voire international, certains restent invisibles au niveau des statistiques.

Alors que les variables sexe, âge ou encore nationalité existent dans toutes les enquêtes statistiques, les origines ethno-raciales sont invisibles. Toutefois, il est possible d’identifier dans nombre d’enquêtes de la statistique publique, les personnes françaises issues de l’immigration – et donc nées en France de parents immigrés –, à partir du lieu de naissance et de la nationalité des parents, et de reconstruire l’origine migratoire et géographique.

Ces variables existent dans de nombreuses enquêtes : c’est le cas, par exemple, des enquêtes du CEREQ depuis les années 1990, avant même les enquêtes Génération, les enquêtes Emploi de l’INSEE depuis 2005 ou encore les panels de la Depp (Brinbaum et Kieffer, 2009). Toutefois, toutes n’ont pas ces indicateurs (par exemple, le recensement).

En revanche, il n’est pas possible d’identifier l’origine raciale ou ethnique des personnes, comme le font les Anglo-saxons, et donc d’analyser les situations des groupes racialisés.

Autre limite. Dans les enquêtes représentatives de la population générale, les effectifs selon l’origine sont souvent faibles, a fortiori lorsque l’on s’intéresse à la fois au sexe et à l’origine. Le manque de travaux quantitatif croisant l’origine et le genre est aussi contraint par des limites méthodologiques. Des enquêtes, comme TeO, centrée sur les immigrés et les descendants, à partir d’un plus grand échantillon, permet en partie de pallier ces limites.

Ces études quantitatives qui adoptent une perspective intersectionnelle (Crenshaw, 1989 ; 1991), sans l’afficher comme telle, renouvellent l’analyse des inégalités liées à l’origine et permettent d’avancer dans la connaissance des inégalités et discriminations sur le marché du travail. Dans l’analyse des descendants d’immigrés, elles invitent à prendre en compte tant l’hétérogénéité des descendants selon les origines migratoires et sociales que le genre.

Ces travaux ont été limités à la fois par un impensé épistémologique et par l’invisibilité des jeunes d’origine immigrée dans un certain nombre d’enquêtes de la statistique publique (Encadré 1) et surtout dans les statistiques administratives, au nom du modèle républicain et d’un principe d’égalité qui prône une indifférence aux différences, niant toutes différences liées à l’origine. Pourtant, depuis la fin des années 1990, voire le début des années 2000, nombre d’enquêtes permettent d’identifier l’origine migratoire et géographique des personnes, à partir du lieu de naissance et de la nationalité des parents, mais pas de connaître leur origine ethno-raciale (Encadré 1).

Outre ces limites, les chercheurs sont souvent confrontés à la faiblesse des effectifs lorsqu’il s’agit de distinguer à la fois l’origine détaillée et le sexe dans les enquêtes représentatives de la population, surtout concernant les jeunes. Pour cette raison, la plupart du temps, les analyses portent en France, sur les groupes les plus nombreux, d’origine portugaise et maghrébine.

Dans cette contribution, nous nous intéressons au vécu des discriminations en début de vie active, chez les jeunes hommes et les jeunes femmes, selon leurs origines. Plus particulièrement, ce chapitre interroge la façon dont se combinent le genre, les origines et autres facteurs dans l’expérience des discriminations à l’embauche. En mobilisant les données de l’enquête Génération 2010 réalisée en 2013 (Encadré 2), est menée une analyse des facteurs en jeu dans l’expérience des discriminations à l’embauche et des motifs discriminatoires rapportés par les jeunes eux-mêmes. Après un retour sur la construction de la catégorie d’origine et de l’expérience de discrimination (Encadré 2), puis sur la situation en emploi des jeunes à la date de l’enquête, nous nous penchons sur l’expérience de discrimination. Cette analyse permet en creux de confronter les catégories statistiques et les facteurs et critères discriminatoires – évoqués par les jeunes eux-mêmes – dans l’analyse des discriminations.

Si les trajectoires d’insertion professionnelle sont différenciées selon le sexe, le vécu des discriminations au travail par les jeunes salariés issus de l’immigration apparaît différent selon l’origine et le sexe. Alors que les femmes mettent en avant des discriminations sexistes, il s’agit de discriminations ethno-raciales chez les hommes (Brinbaum et Primon, 2015). La question se pose de savoir si des tendances similaires sont observées dans l’accès à l’emploi des jeunes, dans la mesure où le sentiment de discrimination y est bien plus fort que dans le travail lui-même (Ibid.).

I. Source : construction des origines et de l’expérience de discrimination

L’analyse est fondée sur l’exploitation de l’enquête Génération 2010 réalisée en 2013 par le Centre de recherche et d’études sur les qualifications (CEREQ). Enquête nationale représentative des sortants de formation initiale en 2010, interrogés trois ans après, elle vise à étudier les conditions d’insertion des primo-sortants. Elle comporte des données rétrospectives sur les parcours de formation et les trois premières années de vie active, les conditions d’accès à l’emploi ainsi que sur les caractéristiques individuelles. Afin de comparer les expériences de discriminations des personnes nées et socialisées en France métropolitaine, le champ de cette étude est restreint à la France métropolitaine et aux jeunes nés en France métropolitaine (les immigrés sont hors champ) et porte sur 31 364 individus. Ce choix permet de comparer des jeunes de nationalité française, socialisés et scolarisés en France qui devraient donc avoir les mêmes chances d’accéder à l’emploi.

Une question, posée en 2013 porte sur les discriminations à l’embauche rencontrées depuis la sortie de formation initiale (durant les trois premières années de vie active). « Dans votre parcours professionnel depuis 2010, estimez vous avoir été victime, au moins une fois, de discrimination à l’embauche ? » suivie de la fréquence (c’est arrivé une fois, plusieurs fois, très souvent) et des motifs de discrimination. Plusieurs réponses étaient possibles : « à cause de » votre nom, la couleur de votre peau, votre accent, lieu de résidence (quartier…), look (piercing, couleur, ou longueur des cheveux), particularité physique (taille, poids, …), parce que vous étiez une femme/un homme, d’un handicap, autre raison (précisez). Les motifs apparaissant fréquemment ont alors été ajoutés.

Ces questions permettent de construire un indicateur de discrimination (ou expérience discriminatoire) et de l’associer ensuite à des critères discriminatoires pour caractériser les formes de discrimination et les relier aux caractéristiques individuelles et situations dans l’emploi. Fondée sur les déclarations des jeunes (Encadré 1), cette discrimination porte sur une situation précise et sur la même période, les trois premières années de vie active, entre 2010 et 2013. Il est possible de mesurer également la discrimination statistique à partir de l’analyse des écarts au chômage entre jeunes descendants d’immigrés et sans ascendance migratoire à caractéristiques contrôlées (Table A1), ces deux mesures de la discrimination étant complémentaires.

II. Définitions et construction des origines

L’origine migratoire et géographique est construite à partir du lieu de naissance du jeune, du pays de naissance et de la nationalité des parents. L’enquête Génération permet donc d’identifier les descendants d’immigrés, de même que les enquêtes du CEREQ depuis plus d’une vingtaine d’années, mais elle ne permet pas en revanche de mesurer l’origine ethno-raciale.

Les descendants d’immigrés sont nés en France d’au moins un parent immigré – né de nationalité étrangère à l’étranger. Sont distingués ici ceux dont les deux parents sont immigrés et ceux issus de couples mixtes. Les personnes sans ascendance migratoire (directe) appelées aussi population majoritaire sont les personnes qui ne sont ni immigrées ni descendantes d’immigrés. L’origine migratoire/géographique des descendants est obtenue à partir du lieu de naissance des parents. Sont retenus comme groupes d’origines : les descendants d’immigrés du Portugal, du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), des autres pays d’Afrique, d’Asie, de Turquie et d’autres pays, et les mixtes. La catégorie « autres pays », très hétérogène, n’est pas commentée et pas toujours présentée.

III. Pour une analyse intersectionnelle

Nous adoptons dans la mesure du possible une lecture intersectionnelle, en combinant l’origine et le sexe. Soulignons que les origines migratoires et sociales sont prises en compte dans les modèles en vue d’analyser simultanément les rapports sociaux de sexe, de genre et d’origines. Toutefois, lorsqu’il s’agit de s’intéresser aux motifs de discrimination rapportés par les jeunes femmes et hommes selon les origines, nous sommes limités par les effectifs. Pour cette raison, un focus est réalisé sur les jeunes d’origine maghrébine, le groupe d’origine le plus nombreux et exposé aux discriminations, en comparaison de la population sans ascendance migratoire (Figure 4).

1. Inégalités d’origine et de genre dans l’accès à l’emploi

En 2013, soit trois ans après la sortie de formation initiale, la situation vis-à-vis de l’emploi varie sensiblement selon l’origine migratoire : le taux de chômage est bien plus élevé pour les jeunes descendants d’immigrés du Maghreb (38 %), de Turquie (38 %) ou encore d’Afrique subsaharienne (30 %), par rapport aux jeunes sans ascendance migratoire (21 %), alors qu’il est similaire pour ceux d’origine portugaise (21 %) voire même plus faible pour ceux d’origine asiatique (15 %).

Les écarts sexués s’avèrent sensiblement plus faibles que les écarts liés à l’origine. Alors qu’en moyenne, le taux de chômage des hommes avoisine, voire dépasse celui des femmes (+ 2 points d’écart), traduisant un rattrapage des jeunes femmes dans l’accès à l’emploi, qu’en est-il pour les secondes générations ?

Cette tendance est observée pour les jeunes sans ascendance migratoire et confirmée pour ceux d’origine maghrébine – les hommes se retrouvent aussi plus au chômage que les femmes – avec cependant un écart plus élevé – de 4 points –, alors qu’on a un résultat inversé parmi les descendants d’Afrique hors Maghreb ou de Turquie[3]. On n’observe pas de différence en revanche parmi les jeunes d’origine portugaise.

Ce rapprochement, voire ce léger dépassement pour la première fois des jeunes femmes en termes d’emploi, peut s’expliquer notamment par l’évolution du niveau d’éducation des filles ; les femmes les plus diplômées résistent mieux à la crise (Cereq, 2014)[4]. Cette meilleure réussite des filles est d’ailleurs sensible et significative dans tous les groupes d’origine (Brinbaum, 2019)[5] ; tout particulièrement parmi les jeunes d’origine maghrébine, les jeunes femmes étant en moyenne beaucoup plus diplômées que les jeunes hommes (45 % sont diplômées de l’enseignement supérieur contre 24 % des hommes).

Figure 1 : Taux de chômage selon l’origine et le sexe en 2013 (en %)

1

Source : Génération 2010 en 2013, Cereq. Traitement de l’auteure.
Champ : actifs nés en France métropolitaine. Lecture : En 2013, trois ans après la sortie de formation initiale, le taux de chômage des jeunes d’origine maghrébine est de 40 % pour les jeunes hommes, 36 % pour les jeunes femmes.
Note : Lorsque les effectifs sont trop faibles (entre 50 et 60), nous avons laissé uniquement les contours, ou des dégradés de couleur (compris entre 60 et 70). Pour les autres groupes, les effectifs par sexe sont supérieurs à 100.

Les différences d’accès à l’emploi entre descendants d’immigrés du Maghreb, d’Afrique subsaharienne, de Turquie et sans ascendance migratoire sont en partie liées aux différences de structures (niveau de formation, caractéristiques sociodémographiques, résidence en zus). Toutefois, ces écarts de situation se réduisent mais persistent à caractéristiques contrôlées pour les jeunes d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne (Tableau A1 en annexe). Ces écarts selon l’origine, à caractéristiques contrôlées, traduisent en partie des discriminations à leur égard[6]. Or ces résultats sont tout à fait cohérents avec

Comment les jeunes appartenant à ces groupes vivent-ils ces premières années de vie active ? Déclarent-ils de la discrimination à l’embauche ? Comment se combinent les effets du sexe, des origines et autres caractéristiques, dans l’expérience des discriminations ? Quels sont les catégories et les critères mobilisés par les jeunes eux-mêmes pour relater ces expériences ?

2. L’expérience de discrimination à l’embauche : intensité et facteurs

L’enquête Génération interroge en 2013, les jeunes sur leurs expériences de discrimination à l’embauche depuis la sortie de formation initiale, en 2010 (Encadré 2). En moyenne, 11 % des jeunes déclarent avoir été discriminés à l’embauche, quel que soit le motif concerné[7]. Ce taux reste étonnamment stable au fil des enquêtes Génération depuis le début des années 2000 alors que dans la même période, la reconnaissance des discriminations dans l’emploi a augmenté[8].

Cette expérience de discrimination – tous motifs confondus – varie plus ou moins selon les caractéristiques individuelles (Tableau 1).

Tableau 1 : Expérience de discrimination à l’embauche (en %)

Facteurs

Discrimination (%)
Total11
Sexe

Hommes
Femmes

9
12
Origine migratoireFrance/sans ascendance migratoire
Portugal
Maghreb
Afrique hors Maghreb
Turquie
Asie
Mixtes
9
5
34
24
23
12
15
Lieu de résidenceEn zus
Pas en zus
18
10
DiplômeSans diplôme
CAP-BEP
Baccalauréat
Bac+2
Bac+2/3 santé social
Bac+3/4
Bac+5 et plus
15
12,5
11
10
4,5
10
8
Type de baccalauréatGénéral
Technologique
Professionnel
8
10,5
11
Origines sociales
(Au niveau familial)
Ouvriers
Employés
Techniciens, prof. intermédiaires
Agriculteurs, commerçants, artisans
Cadres
13
11
10
10
8,5
Rapport à l’activité de la mèreEn emploi
Inactive (au foyer)
9
18
EnfantOui
Non
13
10
Santé handicapProblème de santé durable/handicap
Non
19
10
Situation en 2013
(parmi les actifs)
Emploi
Chômage
8,6
17
Trajectoire d’insertion professionnelle
(Typologie sur 3 ans)
Accès durable à l’emploi
Accès progressif à l’emploi
Sortie d’emploi
Chômage durable
Inactivité durable
Retour formation
8
14
18
18
11
11

Source : Génération 2010 à 3 ans, Céreq. Traitement de l’auteure.
Lecture : 9 % des hommes et 12 % des femmes, nés en France, déclarent des discriminations à l’embauche.

L’expérience de discrimination est un peu plus forte en moyenne chez les femmes que chez les hommes (12 % vs 9 %), avec un écart – significatif – relativement faible compte tenu des inégalités sexuées aujourd’hui avérées. Elle varie davantage en revanche selon les origines migratoires. Plus intense chez les jeunes d’origine maghrébine (34 %), suivis des descendants d’Afrique subsaharienne ou de Turquie (24 %)[9], en comparaison de la population majoritaire (9 %), elle apparaît plus faible chez les descendants d’immigrés du Portugal ou d’Asie (5 % et 12 %), du même ordre que pour la population majoritaire.

Les écarts sexués selon l’origine sont faibles (Tableau 2). Parmi la population majoritaire, ce sont les femmes qui déclarent davantage de discriminations à l’embauche (avec seulement 2 points d’écart) ; il en est de même parmi les descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, avec un écart double (+4 points), ces dernières semblent cumuler les effets de l’origine et du genre. Les descendants d’immigrés maghrébins, quant à eux, évoquent une discrimination élevée à un niveau similaire dans la population féminine et masculine (33 % et 34 % respectivement).

En revanche, pour ce groupe, l’intensité et la fréquence des discriminations varient selon le sexe (Tableau A2). Les hommes d’origine maghrébine déclarent une intensité plus forte : elle s’est manifestée plusieurs fois pour plus de la moitié (55 %), très souvent pour un quart d’entre eux et une fois pour moins d’un quart (20 %) ; les femmes de cette origine déclarent plus souvent une discrimination ponctuelle ou à l’inverse très fréquente (55 %, 14 % et 31 % respectivement). Cette tendance s’observe aussi au sein de la population majoritaire.

Tableau 2 : Expérience de discrimination à l’embauche en 2013 et 2007 selon l’origine et le sexe (%)

Génération 2010
en 2013

Génération 2004
en 2007*

HommesFemmesHommesFemmes

France

810911

Portugal

551010

Maghreb

34334537

Afrique subsaharienne

22263538

Turquie

25222615

Asie

8162014

Mixtes

14172019

Source : Génération 2010 et Génération 2007 à 3 ans, Céreq. Traitement de l’auteure.
Lecture. 34 % des descendants d’immigrés du Maghreb, respectivement 33 % des descendantes, déclarent avoir été discriminés à l’embauche. Note : Lorsque les effectifs sont faibles, les résultats sont en italique.
* Ces résultats ont été publiés (cf. Brinbaum, Guégnard, 2012b (entre 70 et 80).

Une évolution de la discrimination entre 2007 et 2013 ?

Cette expérience de discrimination évolue-t-elle d’une enquête à l’autre ? Alors que la discrimination reste relativement stable en moyenne entre les deux enquêtes – 2007 et 2013 – et qu’elle demeure toujours beaucoup plus élevée parmi les descendents d’immigrés, on note toutefois une diminution entre les deux cohortes pour les populations les plus discriminées. Cette baisse est sensible pour les deux sexes, mais s’avère particulièrement importante pour les jeunes hommes d’origine maghrébine (de 45 % à 34 %) qui se rapprochent du niveau des jeunes femmes de même origine. Interrogés en 2004, ces résultats reflétaient sans doute l’effet particulier des attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis.

La discrimination varie plus ou moins selon le niveau d’éducation et les origines sociales (Tableau 1). Plus élevée parmi les sans diplôme (15 %) ou les titulaires d’un diplôme professionnel, elle est plus faible parmi les diplômés du supérieur. Etre diplômé du supérieur semble, en moyenne, réduire la discrimination. Elle apparaît plus élevée parmi les enfants d’ouvriers (13 %) et plus faible parmi les enfants de cadres (8,5 %), avec une amplitude toutefois ténue d’un groupe à l’autre, en comparaison des effets des origines sociales sur les inégalités d’éducation. Elle atteint le maximum pour les jeunes dont les mères sont inactives ; ces derniers expriment deux fois plus de discrimination que ceux dont les mères sont en emploi (18 % contre 9 %). En lien avec les origines sociales et la ségrégation territoriale, la résidence en zus amplifie le sentiment de discrimination qui atteint 18 % (contre 10 % pour les non-résidents).

Si ces facteurs renforcent ou réduisent le sentiment de discrimination, ils ne jouent pas les uns indépendamment des autres (niveau d’éducation, résidence en zus et origines sociales sont liés). Or ces caractéristiques ne se distribuent pas uniformément selon l’origine migratoire. Ainsi, les descendants d’immigrés du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie, groupes qui expriment le plus de discriminations sont aussi ceux qui appartiennent le plus aux familles populaires, résident en moyenne plus fréquemment en zus (29 %, 34 % et 27 % respectivement contre 5 % de la population majoritaire), et ont en moyenne des niveaux d’éducation plus faibles en lien avec la ségrégation sociale et urbaine[10].

Les trois groupes déclarant le plus de discrimination sont aussi les moins diplômés (graphique en annexe) avec un écart de 15 points entre hommes et femmes d’origine maghrébine, 18 points pour les jeunes descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne, 17 points pour ceux d’origine turque. Alors que le diplôme protège dans une certaine mesure du chômage, on peut supposer que les moins qualifiés s’exposent d’autant plus aux discriminations. A l’autre extrême, les diplômés du supérieur sont plus nombreux parmi les femmes (45 % des femmes, 36 % des hommes parmi la population majoritaire, 35 % et 25 % respectivement pour la population d’origine maghrébine).

Ces résultats corroborent des recherches antérieures qui montrent que les niveaux d’éducation varient fortement selon l’origine migratoire et selon le sexe, avec une réussite scolaire des filles, supérieure à celle des garçons (Brinbaum et Kieffer, 2009 ; Brinbaum et Primon, 2013) et ce quelle que soit l’origine et sur des données récentes (Brinbaum, 2019).

Néanmoins, le sentiment de discrimination est similaire pour les hommes et les femmes d’origine maghrébine, alors que ces dernières ont un niveau d’éducation plus élevé. De plus, parmi ce groupe, les diplômé.e.s du supérieur expriment même davantage de discrimination que les non diplômé.es : respectivement 38 % et 33 % parmi les hommes, 32 % et 36 % parmi les femmes). On observe la tendance inverse pour la population majoritaire où la discrimination est réduite de moitié pour les hommes (9 % à 5 %) et de quelques points pour les femmes (11,5 % à 9,5 %).

Ainsi, les jeunes d’origine maghrébine titulaires de diplômes du supérieur expriment davantage de discrimination. Elles semblent cumuler les barrières liées à la fois à leur origine et au plafond de verre rencontré par les femmes. Le niveau d’éducation va aussi de pair avec une conscientisation accrue des discriminations.

Il importe donc de démêler les effets de ces caractéristiques pour affiner la prise en compte des différences de profil, à l’aune de modèles statistiques. Ces différents facteurs se combinent en fonction des profils des jeunes et on peut faire l’hypothèse qu’ils ne jouent pas de la même façon pour les hommes et les femmes de différents groupes d’origine (en fonction de leur situation familiale, du nombre d’enfants, mais aussi des préjugés sexués etc.), avec un impact différencié sur le vécu des discriminations.

En vue de démêler les différents facteurs en jeu sur le sentiment de discrimination, ont été construits des modèles statistiques – régressions logistiques (cf. Encadré 1 mesure 2) – prenant successivement en compte :

  • l’origine seule (modèle 1a) ; le sexe (modèle 1b),
  • les autres caractéristiques sociodémographiques et le contexte (origines sociales à partir des professions des parents, niveau d’éducation à partir du diplôme, nombre d’enfants, lieu de résidence – en zus ou non, Ile-de-France ou non – (modèle 2) ;
  • puis la trajectoire professionnelle depuis la sortie de formation initiale[11] (modèle 3) dans la mesure où celle-ci peut être corrélée avec le sentiment de discrimination.

Une série de modèles est réalisée sur l’ensemble des jeunes dans un premier temps, puis séparément sur la population masculine et féminine dans un second temps. L’objectif est d’estimer les effets de l’origine et des autres facteurs sur le sentiment de discrimination des hommes et des femmes, et de saisir s’ils jouent de la même façon.

Les jeunes d’origine maghrébine rapportent ainsi cinq fois plus de discrimination – tous critères confondus – que la population majoritaire (OR=5,2 modèle 1), un peu plus que ceux d’origine africaine hors Maghreb (OR=3,6) ou de Turquie (OR=2,9), alors que les descendants d’immigrés du Portugal ou d’Asie ne se distinguent pas de la population majoritaire (Tableau A3). Ces deniers sont aussi ceux qui s’insèrent le mieux sur le marché du travail, avec les plus faibles taux de chômage (cf. Figure 1). Confirmant les statistiques descriptives, le sentiment de discrimination à l’embauche apparait plus fort chez les femmes que chez les hommes, à caractéristiques contrôlées, avec toutefois des effets moindres.

Les modèles séparés sur la population masculine et féminine montrent que le rôle de l’origine persiste au fil des modèles, une fois contrôlées les caractéristiques individuelles et contextuelles (modèles 2) ; il reste fort pour les trois groupes d’origines – Maghreb, Afrique subsaharienne et pour les hommes descendants de Turquie –, y compris à caractéristiques contrôlées. En comparaison de la population sans ascendance migratoire, les effets de l’origine demeurent bien plus élevés pour les hommes que pour les femmes, et ce tout particulièrement pour l’origine maghrébine. Ces résultats peuvent s’expliquer par une discrimination ressentie plus forte – à tort ou à raison – par les hommes issus de l’immigration qui apparaissent plus stigmatisé, particulièrement lorsqu’ils sont issus de minorités visibles postcoloniales, en comparaison des hommes sans ascendance migratoire ; ou par le fait que les femmes sont plus exposées aux discriminations, en tant que femmes, quelle que soit l’origine – résultat qui ressort néanmoins peu en moyenne –, ou encore par le fait qu’elles intériorisent davantage et sous-déclarent les discriminations (Lesné et Simon, 2015 ; Brinbaum et al., 2015). Les jeunes femmes ayant tendance à « assumer, à excuser, parfois à naturaliser les discriminations rencontrées » (Epiphane et al., 2011).

Ces discriminations plus élevées pour ces groupes corroborent des recherches antérieures[12]. Elles persistent au fil des années, en dépit de l’évolution du droit et des politiques anti-discriminatoires. Cette expérience de discrimination intense chez les jeunes hommes d’origine maghrébine, qui résiste à caractéristiques similaires, renvoie sans doute à l’histoire postcoloniale, à laquelle s’ajoutent les conséquences des attentats de septembre 2001 aux Etats-Unis et des vagues successives d’attentats en France, qui ont pu accroître les préjugés et stigmatisations à leur égard (Défenseur des droits, 2020). Il devient urgent d’agir contre ces discriminations.

Les facteurs ne sont pas toujours de même ampleur selon le sexe. Par rapport aux bachelier.eres, les sans diplôme déclarent significativement plus de discrimination – l’effet est d’ailleurs plus fort chez les hommes –, ainsi que, dans une moindre mesure, chez les titulaires d’un diplôme professionnel (Cap Bep). Il en est de même pour les femmes titulaires d’un diplôme de niveau BTS DUT, alors qu’on observe l’inverse pour les diplômées du supérieur dans le domaine de la santé ou du social (où l’insertion est aussi plus favorable). Ce n’est pas le cas chez les hommes, où le sentiment de discrimination est réduit lorsqu’ils possèdent un diplôme du supérieur. L’origine sociale n’a plus d’effet sur l’expérience de discrimination, mais l’effet du diplôme résiste. Avoir des enfants a un effet plus fort sur la discrimination chez les femmes. Outre les caractéristiques individuelles, la résidence en zus accentue ce sentiment de discrimination à l’embauche « toutes choses égales par ailleurs ».

Outre les diplômes, le parcours scolaire influe sur le sentiment de discrimination « toutes choses égales par ailleurs ». Ainsi, une orientation contrariée vers les filières professionnelles et un cursus scolaire plus sinueux accentuent le sentiment de discrimination[13].

Ces expériences de discrimination apparaissent corrélées aux types de trajectoires d’insertion professionnelle. Moins exprimées par les jeunes ayant accédé durablement à l’emploi (8 %), elles sont plus fréquentes parmi les jeunes ayant suivi des trajectoires de sortie de l’emploi ou de chômage durable (18 %). Ces effets sont confirmés « toutes choses égales par ailleurs ». Une expérience de discrimination est positivement corrélée aux trajectoires d’accès progressif à l’emploi ou de sortie de l’emploi, et plus encore aux trajectoires éloignées de l’emploi. En revanche, elles sont corrélées négativement avec la trajectoire d’accès à l’emploi durable. Ainsi, sentiment de discrimination et trajectoires sont connectées et cette expérience de discrimination se nourrit des expériences professionnelles[14].

Ces facteurs (origine migratoire, genre, lieu de résidence) renvoient à des critères discriminatoires. Mais les personnes concernées rapportent-elles les discriminations à ces mêmes critères ? Les femmes et les hommes évoquent-ils les mêmes motifs de discrimination ? Quels sont les critères discriminatoires mis en avant par les jeunes en fonction de leurs caractéristiques ?

3. À la source des expériences de discrimination : quels critères discriminatoires ?

La question sur l’expérience de discrimination est suivie par une question sur ses motifs permettant de préciser les sources de discrimination puis de les relier aux caractéristiques individuelles.

Parmi les jeunes qui se déclarent discriminés, le premier motif évoqué est le sexe (28 %), suivi de la couleur de peau et du nom (21-22 %), puis du lieu de résidence, ou encore du look ou d’une particularité physique (16 à 18 %) ; qui constituent ainsi les six premiers critères (Figure 2). Environ 10 % ont évoqué d’« autres motifs » que ceux proposés par l’enquête (cf. Encadré), en lien notamment avec la situation de famille et la grossesse « Parce que vous étiez enceinte, ou maman de plusieurs enfants », critères ajoutés par les femmes (5 %) ; l’âge « trop jeune ou trop vieux » (8 %) ; les origines étrangères/ou la religion (5 %). Outres ces critères discriminatoires, ont été ajoutés des éléments de contexte ou d’obstacles à l’emploi – période économique, manque d’expérience, diplômes (trop, pas assez, pas adaptés, etc.) –, de l’ordre de 4 % chacun.

Figure 2 : Motifs de discrimination pour l’ensemble des jeunes

2

Source : Génération 2010 à 3 ans, Céreq. Traitement de l’auteure.
Lecture : Parmi les personnes ayant déclaré des discriminations, 28 % évoquent le sexe comme motif.
*(ajouté) : Cette catégorie a été ajoutée a posteriori.

Une discrimination de genre plus intense chez les femmes que chez les hommes

Les critères discriminatoires mis en avant varient sensiblement selon le sexe et l’origine, nécessitant une lecture intersectionnelle. Les motifs évoqués par les hommes et les femmes ne sont pas les mêmes ; les expériences de discriminations ne relèvent pas des mêmes critères (Figure 3a). Alors que globalement (tous motifs confondus), la discrimination à l’embauche est étonnamment proche entre femmes et hommes, compte tenu des inégalités sexuées reconnues à l’entrée dans la vie active, les motifs diffèrent sensiblement. L’écart est plus marquant lorsqu’il s’agit de discrimination « sexiste » : ainsi, 40 % des femmes l’expriment contre seulement 14 % des hommes. Ce taux atteint 43 % lorsqu’on ajoute la situation familiale, modalité ajoutée explicitement par des femmes (contre toujours 14 % pour les hommes). Cette discrimination de genre constitue donc la première forme de discrimination pour les femmes, ce qui n’est pas le cas pour les hommes.

L’interrogation sur les formes de discrimination – tous motifs confondus – semble donc écraser les différences entre hommes et femmes, les femmes ayant une tendance à sous-déclarer les discriminations.

Cette tendance rejoint les conclusions d’une étude récente de la DARES, sur les discriminations rapportées dans le cadre du travail (Algarva, 2016).

Figure 3 : Motifs de discrimination selon le sexe, le lieu de résidence, l’origine
a. Selon le sexe

3a

b. Selon le lieu de résidence

3b

c. Selon le pays d’origine

3c

Source : Génération 2010 à 3 ans, Céreq. Traitement de l’auteure.
Lecture : Parmi les personnes ayant déclaré des discriminations, 14 % des hommes, 40 % des femmes évoquent le sexe comme motif de discrimination ; ils/elles sont 16 % parmi les résidant.e.s en zus.
Note : Lorsque les effectifs sont faibles, les barres sont vides.

Autre différenciation importante : les motifs varient selon le lieu de résidence (Figure 3b). Si le lieu de résidence est, de façon attendue, davantage cité par les jeunes résidant en ZUS (42 % contre 14 %), certains critères sont plus souvent mis en avant, tels que le nom, la couleur de peau, les origines ou la religion. Ces critères ethno-raciaux sont davantage évoqués par les habitants de zus. Or on l’a vu, les jeunes issus de l’immigration résident davantage en ZUS.

D’ailleurs, le lieu de résidence est cité comme critère discriminatoire par environ un tiers des descendants du Maghreb (30 %), de Turquie (34 %) et surtout d’Afrique subsaharienne (38 %) (Figure 3c). Plus de la moitié des descendants asiatiques, bien que peu nombreux dans l’échantillon, évoquent ce critère.

Mais ce sont le nom et la couleur de peau qui prédominent ; le nom est cité par environ les trois quarts des jeunes descendants du Maghreb, de Turquie et d’Asie, la couleur de peau par les trois quarts des descendants d’Afrique subsaharienne, et ce beaucoup plus que le sexe[15].

Notons que le critère d’âge est cité de façon marginale par les jeunes issus de l’immigration et un peu plus souvent par les Français d’origine (10 %). Les jeunes ne ressentent pas de discrimination d’âge, mais des discriminations en lien avec leurs caractéristiques culturelles, de genre, de résidence.

Des discriminations multiples, d’une intensité variable selon le sexe

La discrimination est ressentie par les jeunes hommes et les jeunes femmes, à des niveaux différents selon le sexe, mais surtout avec une différenciation des motifs selon le pays d’origine.

Comment se combinent ces motifs pour les femmes et les hommes de deux groupes, du groupe majoritaire et de la population d’origine maghrébine, les plus nombreux. Nous nous centrons sur cette comparaison (Figure 4), qui peut être complétée par une lecture qualitative pour les autres groupes.

La discrimination de genre – à raison du sexe ou de la situation familiale –, la principale, est particulièrement mise en avant par les femmes de la population majoritaire, avec l’écart le plus important entre sexe (47 % des femmes contre seulement 16 % des hommes), alors que d’autres critères prédominent chez les descendants d’immigrés discriminés, plus ou moins partagés par les hommes et les femmes. Alors que les expériences de discrimination (tous motifs confondus) varient très peu en moyenne entre hommes et femmes, ce n’est plus le cas lorsqu’il s’agit de discrimination de genre, qui est rapportée par près de la moitié des femmes de la population majoritaire et très peu par les hommes.

Pour les femmes magrébines, les discriminations à l’embauche sont tout d’abord des discriminations ethno-raciales, en lien avec leur patronyme puis leur couleur de peau ou origine[16] – 70 % et 52 % –, combinées aux discriminations de genre – 25 % – puis au lieu de résidence (23 %).

Cette discrimination de genre est bien moins citée par les femmes d’origine maghrébine que par celles de la population majoritaire, mais beaucoup plus souvent que par les hommes d’origine maghrébine. Pour ces derniers, la discrimination est avant tout ethno-raciale – 76 % et 61 % respectivement –, en lien avec la stigmatisation du quartier – 36 % –, loin devant la discrimination de genre (6 %).

Les critères ethno-raciaux prédominent. Si on ajoute le nom à ces critères, les discriminations « ethno-raciales » atteignent 90 % pour les hommes d’origine maghrébine, 88 % pour les femmes, et 95 % pour les jeunes d’Afrique subsaharienne.

Pour les hommes de la population majoritaire, le look est le premier critère cité, juste avant le lieu de résidence et le sexe, puis le critère ethno-racial. De façon étonnante, ce dernier critère est cité dans une proportion proche. Les données disponibles ne permettent pas de savoir s’il s’agit de jeunes hommes de la troisième génération qui subissent les mêmes discriminations que les secondes (du point de vue de leurs origines, leur couleur de peau ou encore de leur religion). Ne connaissant pas ces caractéristiques, nous ne pouvons pas approfondir ces résultats.

Pour les descendants d’Afrique subsaharienne – avec des effectifs limités par sexe –, les discriminations ethno-raciales recouvrent plus des trois quarts des discriminations, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes, alors que le genre est cinq fois plus mis en avant par les femmes que par les hommes (28,5 % contre 5 %). Le lieu de résidence, le quartier, est en revanche bien plus largement incriminé par les jeunes hommes, presque la moitié des descendants d’Afrique subsaharienne (48 %) et 35 % des descendants maghrébins (respectivement 16 % et 22 % des femmes)[17].

Figure 4 : Focus – Motifs de discrimination selon le sexe et l’origine pour deux groupes

4

Source : Génération 2010 à 3 ans, Céreq. Traitement de l’auteure.
Lecture : Parmi les descendantes maghrébines ayant déclaré des discriminations, 70 % citent le nom comme motif.
Note : les critères discriminatoires à caractère ethno-racial regroupent la couleur de peau, les origines et la religion.

Ainsi, les femmes d’origine maghrébine et d’Afrique subsaharienne semblent cumuler davantage les effets de l’origine et du genre. Les hommes en revanche associent davantage les discriminations liées au lieu de résidence et au nom/couleur de peau. Ils subissent de façon combinée la stigmatisation du quartier et les discriminations ethno-raciales.

Des enseignements complémentaires émergent[18] :

  • Les femmes déclarent près de 4 fois (OR=3.95) plus que les hommes des discriminations genrées ; les descendantes d’immigrés en déclarent moins souvent que la population majoritaire.

Les femmes diplômées du supérieur déclarent davantage de discriminations de ce type, ce qui n’est pas le cas pour les hommes.

  • Les hommes déclarent en revanche plus que les femmes des discriminations ethno-raciales.

Les effets d’origine sont très forts en référence à la population majoritaire, à l’exception de l’origine portugaise.

Pour ce type de discrimination, le diplôme ne joue pas de la même façon. Pour les femmes, être titulaire d’un BTS ou DUT réduit significativement cette forme de discrimination, de même qu’un diplôme de niveau Bac+2/3 dans le secteur santé ou social ou encore un diplôme du supérieur long. Alors que le milieu social joue relativement peu sur la discrimination tous motifs confondus, il a ici un impact. En comparaison des jeunes dont les parents sont ouvriers ou employés, les femmes dont les parents sont cadres ou encore professions intermédiaires vivent moins de discriminations de ce type. De même, résider en zus ou encore avoir des enfants augmentent significativement ce type de discrimination.

À l’embauche, se combinent des effets de rapports sociaux, de genre et d’origine, particulièrement chez les femmes. En revanche, les origines sociales n’ont pas d’effet pour les hommes, les effets d’origines étant plus importants que pour les femmes. Toutefois, les diplômes jouent sur cette expérience de discrimination. Les diplômés du supérieur déclarent moins de discriminations ethno-raciales que les bacheliers.

Ce chapitre met en évidence des expériences de discrimination à l’embauche plus fortes chez les femmes que chez les hommes « toutes choses égales par ailleurs », et plus marquées pour certaines catégories de population : les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne, ou de Turquie dans une moindre mesure. Ce sentiment est renforcé chez les « minorités visibles », racialisées, qui sont aussi celles qui connaissent le plus de difficultés pour accéder à l’emploi, y compris à caractéristiques similaires.

Concernant les expériences de discrimination, ressortent de cette étude :

-Des discriminations multiples, qui se manifestent de manière différente chez les hommes et chez les femmes, et selon l’origine.

Alors que les discriminations genrées sont les plus fortes chez les femmes de la population majoritaire, celles qui sont liées à l’origine prédominent chez les descendants d’immigrés du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, pour les deux sexes. Elles sont toutefois exprimées plus fréquemment chez les hommes.

-Des discriminations de genre et d’origine sont ressenties par les femmes de ces populations ; chez les hommes, se cumulent discriminations liées à l’origine et au lieu de résidence.

Se combinent aussi des effets de rapports sociaux, de genre et d’origine, davantage chez les femmes. Ces dernières, qui ont vu leur niveau d’éducation augmenter ces dernières décennies, se trouvent aussi confrontées aux « murs de verre » (Buscatto et Marry, 2009) dans l’accès à l’emploi.

Ces ressentis différenciés selon les origines et le sexe invitent à prendre en compte simultanément les origines et le genre, avec d’autres facteurs (tels que l’origine sociale, le lieu de résidence), dans l’analyse des inégalités et des discriminations. Cette « intersectionnalité » (Crenshaw, 1989 ; 1991) permet de rendre visibles des combinaisons de situations et de rendre compte de discriminations multiples dans l’expérience des individus.

-Enfin, apparaît un décalage criant entre l’invisibilité de critères du droit, tels que l’origine ethnique ou raciale et la couleur de peau dans les catégories statistiques, et les motifs invoqués par les personnes concernées dans le vécu des discriminations. De fait, les personnes issues de groupes minoritaires et racialisés éprouvent en premier lieu les expériences ethno-raciales, loin devant toute autre forme de discrimination.

Ce décalage entre critères discriminatoires et catégories statistiques avait déjà été dénoncé dans les années 2000 (Simon et Stavau-Devauge, 2004).

D’ailleurs, les motifs discriminatoires évoqués, les facteurs de discrimination dans l’accès à l’emploi, et le vécu des discriminations se rejoignent : à titre d’exemple, le lieu de résidence d’un côté, le rôle de la résidence en zus de l’autre ; ou encore l’origine ethnique ou raciale et l’origine maghrébine ou d’Afrique subsaharienne.

Ces résultats qui corroborent des recherches antérieures et de nombreux testings interrogent encore sur un déni de réalité persistant, et devraient inviter à agir davantage et à ne plus se voiler la face.

Face au déni des différences, à une société colorblind (Simon, 2004), se manifestent en effet des vécus de discriminations ethno-raciales intenses, au sein des populations racialisées. Ces discriminations selon l’origine ont été confirmées au fil des années. Force est de constater que cette volonté de ne pas rendre visibles ces différences peut empêcher de combattre ces discriminations, et risque au contraire de les renforcer. Des avancées dans la lutte contre les discriminations selon l’origine, et en particulier l’origine raciale, sont urgentes, ce qu’a récemment confirmé le Défenseur des Droits (2020). Pour cela, des outils d’objectivation et de mesure sont nécessaires, ainsi que des politiques plus offensives pour lutter contre. Initialement conçues à cet effet, les politiques de « diversité » dans les entreprises ont finalement englobé « toutes les discriminations » (Bereni, 2009), rendant invisibles ces discriminations selon l’origine ; ce critère ne constitue aujourd’hui une priorité que pour un quart des entreprises à peine (Défenseur des droits, enquête de 2013).

La prise de conscience des préjugés et stéréotypes dans l’enfance, dès la socialisation, à l’école puis au travail, est primordiale. Concernant l’embauche, la loi Kanner (du 27 janvier 2017) rend obligatoire une formation à la non-discrimination auprès des acteurs chargés du recrutement[19] ; l’application de cette loi constitue un outil parmi d’autres.

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Annexes

Graphique : Diplôme le plus élevé selon l’origine et le sexe (%)
Hommes

anexo hommes

Femmes

anexo femmes

Source : Céreq, enquête Génération 2010 à 3 ans. Lecture : 35 % des hommes d’origine maghrébine n’ont pas de diplôme.

Tableau A1 : Effets des origines sur le risque de chômage (OR)

Modèle 1

Modèle 2

France (ref.)OriginesAvec contrôles*
Portugal1,021,04
Maghreb2,26***1,46***
Afrique sub.2,06***1,44**
Turquie2,45***1,24
Asie0,700,66
Mixtes1,21***1,09

Source : Céreq, enquête Génération 2010 à 3 ans. Champ : Jeunes actifs en 2013.
*Note : Sont présentés les odds ratios (ou rapports de chances) issus d’une régression logistique sur le risque de chômage en 2013, en contrôlant l’origine migratoire seule (modèle 1), puis le niveau d’éducation (diplôme, apprentissage), les origines sociales et la situation professionnelle des parents, la région, la résidence en Zus, le fait d’avoir des enfants (modèle 2).
Lecture : un jeune d’origine maghrébine a un risque 2,3 fois supérieur d’être au chômage qu’un jeune français d’origine (M1) ; ce risque est de 1,4 à caractéristiques socio-économiques comparables (M2).

Tableau A2 : Expérience de discrimination à l’embauche en 2013 selon l’origine et le sexe (%)
Expérience de discriminationFréquence*
une foisplusieurstrès souvent
FranceHommes8434512
Femmes10494011
PortugalHommes5572814
Femmes59190
MaghrebHommes34*205525
Femmes33315514
Afrique sub­saharienneHommes22275221
Femmes26443818
TurquieHommes2558367
Femmes22483219
AsieHommes8246114
Femmes16265519
MixtesHommes14325216
Femmes1736586

Source : Céreq, enquête Génération 2010 à 3 ans. Lecture : 34 % des hommes d’origine maghrébine – 33 % des femmes respectivement – rapportent des discriminations à l’embauche. Cette expérience s’est manifestée plusieurs fois pour plus de la moitié (55 %), très souvent pour un quart d’entre eux et une fois pour moins d’un quart (20 %) ; les femmes de cette origine déclarent plus souvent une discrimination ponctuelle ou à l’inverse très fréquente (55 %, 14 % et 31 % respectivement).

Tableau A3 : Effets des origines sur l’expérience de discrimination à l’embauche (Odds Ratios)
Modèle 1a
Origines
Modèle 1b
Origines et sexe
Modèle 2
+ car. socio- économiques
Modèle 3
+ trajectoire professionnelle
France (ref.)
Portugal0,760,750,740,71
Maghreb5,21***5,22***4,29***4,55***
Afrique sub.3,61***3,61***2,93***2,95***
Turquie2,87***2,88***2,31***2,30***
Asie1,311,321,281,40
Mixtes1,69***1,70***1,61***1,62***
Femmes vs Hommes1,28***1,21***1,40***

Source : Céreq, enquête Génération 2010 à 3 ans.
*Note : Sont présentés les Odds ratios (OR ou rapports de chances) issus d’une régression logistique sur l’expérience de discrimination en 2013, en contrôlant l’origine migratoire seule (modèle 1), puis le niveau d’éducation (diplôme, apprentissage), les origines sociales et la situation professionnelle des parents, la région et la résidence en Zus, le fait d’avoir des enfants (modèle 2).
Lecture : un jeune d’origine maghrébine a un risque 5,2 fois supérieur d’exprimer un sentiment de discrimination à l’embauche qu’un jeune français d’origine (M1) ; ce risque est de 4,2 à caractéristiques socio-économiques comparables (M2).

Tableau A4 : Effets des origines sur l’expérience de discrimination à l’embauche selon le sexe (OR)
HommesFemmes

Modèle 1

Modèle 2

Modèle 3

Modèle 1

Modèle 2

Modèle 3

France (ref.)

Origines seules+ car. socio-écono­miques+ trajectoire professio­nnelleOrigines seules+ car. socio-écono­miques+ trajectoire professio­nnelle

Portugal

0,850,750,80,70,70,65

Maghreb

6,9***6,1***6,1 ***4,05***3,7***3,5***

Afrique sub.

4,4***3,2***3,1 ***3,05***2,8***2,7***

Turquie

4,4***3,6***3,7 ***1,9**1,61,4

Asie

1,31,21,31,41,41,5

Mixtes

1,9***1,8***1,8 ***1,5***1,5***1,5**

Source : Céreq, enquête Génération 2010 à 3 ans.
Note : les effectifs par sexe sont relativement faibles pour l’Asie et la Turquie et peuvent expliquer la non significativité des résultats.


  1. Yaël Brinbaum est maîtresse de conférence en sociologie au CNAM, membre du LISE (CNRS-CNAM) et du CEET.
  2. Les auteurs l’expliquent par « l’existence d’une « homéophilie » ethnique sous‑jacente à la discrimination – c’est-à-dire d’une défiance indifférenciée de la part des employeurs à l’égard de tout candidat n’appartenant pas au groupe ethnique majoritaire ».
  3. Toutefois, les effectifs par sexe sont faibles pour ce groupe.
  4. Autre explication, les secteurs dans lesquels travaillent les hommes subissent davantage les effets de la crise économique. Pour autant, la qualité de l’emploi (sous-emploi, temps partiel, salaires) des jeunes femmes reste moindre en comparaison des jeunes hommes.
  5. Cette prise en compte de ces différentes dimensions – genre, origines sociales et migratoires – dans l’analyse des scolarités, a permis de rendre visibles certaines sous-populations et de faire émerger des différences internes importantes.
  6. En partie seulement, puisque l’écart inexpliqué peut résulter de variables non observables ou absentes dans l’enquête et donc dans les modèles, tels que les codes comportementaux, le recours inégal aux réseaux etc.
  7. Pour rappel, le champ concerne les jeunes nés en France.
  8. La formulation de la question, peut être interrogée, à l’instar de travaux antérieurs. « Ce libellé est ambivalent. Il ne s’agit ni d’une question factuelle ni d’une question d’opinion. Son indexation à une expérience personnelle (voir « votre parcours professionnel ») exclut toute assimilation à une question d’opinion mais la place laissée à l’appréciation personnelle par l’usage d’un verbe judicatif (« estimer ») l’éloigne d’une question strictement factuelle » (Eckert et Primon, 2011). Les auteurs indiquaient un taux de 12 % dans l’enquête Génération 1998 réalisée en 2001 ; taux stable à l’enquête Génération 2004 en 2007 (Brinbaum et Guégnard, 2011, 2012).
  9. Pour ces derniers, les effectifs sont faibles.
  10. Soulignons toutefois l’hétérogénéité interne aux groupes d’origine.
  11. Typologie de trajectoire d’emploi construite sur les trois premières années de vie active à partir du calendrier mensuel qui indique la situation sur le marché du travail mois par mois.
  12. Par exemple, à partir de l’enquête Génération 2004 (Brinbaum et Guégnard, 2012b) ou de TeO en 2008 (Brinbaum, Safi et Simon, 2015 ; Lesné et Simon, 2015).
  13. Un modèle supplémentaire, réalisé en contrôlant en plus le parcours scolaire et l’orientation contrariée en seconde, confirme l’effet « toutes choses égales par ailleurs » d’une orientation contrariée sur le sentiment de discrimination.
  14. Cette variable de discrimination est ajoutée dans un modèle supplémentaire pour tester les liens avec les trajectoires d’insertion. Il est évident que ces corrélations ne mesurent pas de causalité ; l’imbrication des évènements est complexe à démêler. Toutefois elle permet de faire le lien entre une trajectoire d’insertion professionnelle (objective) et une expérience de discrimination (subjective) sur la même période. Ces liens avaient déjà été démontrés à partir d’enquêtes antérieures (Brinbaum et Guégnard, 2012 ; Brinbaum, Primon et Meurs, 2015).
  15. Les jeunes originaires du Maghreb évoquent en premier lieu le nom (73 %), suivi de la couleur de peau (42 %), alors que ce dernier critère est cité par les trois quarts des originaires d’Afrique subsaharienne (suivie du nom pour 47 %).
  16. Les origines et la religion – catégorie ajoutée a posteriori– sont identifiées par les jeunes d’origine maghrébine et de Turquie, et ce plus souvent par les femmes que par les hommes (avec des effectifs toutefois faibles pour la Turquie).
  17. Les hommes se sentent de façon significative plus discriminés que les femmes en raison du lieu de résidence. Ce résultat corrobore la stigmatisation ressentie par les jeunes hommes des quartiers (Brinbaum et Guégnard, 2011) ; les jeunes descendants d’immigrés du Maghreb, d’Afrique hors Maghreb, puis de Turquie et d’Asie dans une moindre mesure.
  18. Des modèles statistiques, non présentés ici faute de place, ont été réalisés sur les différentes formes de discrimination – sexiste, ethno-raciales, résidentielle – sur l’ensemble des jeunes, puis séparément sur les femmes et sur les hommes.
  19. La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté exige des entreprises de recrutement et toutes celles de plus de 300 salariés à former ses salariés RH à la non-discrimination : « Dans toute entreprise employant au moins trois cents salariés et dans toute entreprise spécialisée dans le recrutement, les employés chargés des missions de recrutement reçoivent une formation à la non-discrimination à l’embauche au moins une fois tous les cinq ans. » (Art. L. 1131-2. du Code du travail).


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