26 Colloque 11 décembre 2015 – programme et résumé des panels

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Ouverture et cadrage – 9h30-10h

Anne-Thida Norodom (Université de Rouen, CUREJ) – Les enjeux du numérique et le droit international

Lilian Richieri Hanania (CEST/USP, IREDIES/Univ. Paris 1, CUREJ/Univ. Rouen) – La prise en compte des technologies du numérique par la CDEC

Panel I – 10h-12h – Les enjeux du numérique pour la diversité culturelle

Modératrice : Lilian Richieri Hanania

Rostam Neuwirth (Université de Macao)L’économie créative, la convergence technologique et la diversité

Yvon Thiec (Eurocinéma) Diversité culturelle et numérique : vers une évolution des droits de l’homme ?

Pascal Rogard (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) La mise en œuvre de la CDEC, l’internet et les droits d’auteur

Luis Ferrão (Commission européenne, DG communication Networks, Conten and Technology, Creativity Unit)Renforcer les industries créatives avec les nouvelles technologies

Panel II – La prise en compte du numérique par les parties prenantes de la Convention

13h30 – 15h : (1ère partie) L’action aux niveaux interétatique et étatique

Modératrice : Anne-Thida Norodom (Université de Rouen)

Rémi Gimazane (Chef du département de l’économie du livre, Ministère de la Culture et de la Communication) L’adaptation des politiques de soutien au marché du livre numérique en France

Antonios Vlassis (FNRS, Université de Liège) – La coopération entre organisations internationales pour la mise en œuvre de la CDEC à l’ère numérique

Toussaint Tiendrébéogo (Organisation internationale de la Francophonie) – La promotion de la CDEC à l’ère du numérique par l’Organisation internationale de la Francophonie

Panel II – La prise en compte du numérique par les parties prenantes de la Convention

15h15-16h45 : (2ème partie) La diversification des acteurs impliqués

Modérateur : Stéphane Pessina-Dassonville (Université de Rouen, CUREJ)

Pascale Thumerelle (Vivendi) – La contribution à la diversité culturelle par le secteur privé

Charles Vallerand (FICDC) – Le rôle de la société civile dans la promotion de la Convention à l’ère du numérique

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Conférence « Diversité culturelle et numérique : promouvoir la mise en œuvre de la Convention UNESCO sur la diversité des expressions culturelles, dix ans après son adoption »

11 décembre 2015

Ouverture du colloque

Rapporteur : Elsa Edynak

Damien Féménias (Université de Rouen)

Ce colloque a été ouvert par le vice-Président de l’Université de Rouen aux questions culturelles, Damien Féménias, qui a souligné les deux dimensions dans lesquelles s’inscrivait ce colloque. La première est purement universitaire et la seconde situe cette journée d’étude dans une préoccupation qui sort du cadre strictement de l’Université, par la prise en compte des enjeux actuels de notre société. Cette démarche induit dès lors des transferts de connaissances indispensables à la compréhension de cette matière. En effet, cette recherche, parrainée par l’UNESCO, ne s’arrêtera pas à la fin du colloque. D. Féménias rappelle que ce colloque donnera lieu à une publication numérique qui permettra aux connaissances dans ce domaine de se développer davantage et de sensibiliser le plus grand nombre. Ainsi, le savoir des spécialistes en la matière sortira du cadre spatio-temporel de cet évènement.

Ouverture et cadrage

9h30-10h

Anne-Thida Norodom (Université de Rouen, CUREJ) – Les enjeux du numérique et le droit international

Lilian Richieri Hanania (CEST/USP, IREDIES/Univ. Paris 1, CUREJ/Univ. Rouen) – La prise en compte des technologies du numérique par la CDEC

Résumé des présentations

Les enjeux du numérique et le droit international – Anne-Thida Norodom (Université de Rouen, CUREJ)

Après avoir rappelé de manière générale les enjeux du numérique, A.-Th. Norodom énonce que, pour le droit, l’enjeu du numérique est d’appréhender toute la complexité du phénomène, qui résulte à la fois de son ambivalence, en tant que technique et moyen de communication, mais aussi parce que c’est un progrès technologique qui peut entraîner des dérives (ex : Big Data) ; et de sa diversité, qu’elle soit géographique, dans les usages, à travers la multitude de services proposés ou encore dans les différentes conceptions nationales du numérique entraînant une multitude de régimes juridiques, alors que le numérique se veut transnational par nature.

La question qui se pose quant au rôle du droit international face à cette ambivalence et cette diversité du numérique est de savoir si ce dernier peut réglementer le numérique sans constituer un obstacle à la diversité. A.-Th. Norodom propose alors d’appréhender le numérique en tant que technique, puis comme moyen de communication avant de se demander si, au regard de ces deux dimensions, le numérique constitue finalement une limite par rapport au droit.

I. La prise en compte du numérique comme technique emporte deux conséquences sur le droit : une valorisation de la place de l’expert et une évolution du droit international du fait de la technicité croissante des normes. On observe à la fois une privatisation des sources du droit, ainsi qu’une prolifération du droit mou. Ce changement constitue une évolution formelle du droit international avec l’émergence d’une lex electronica qui ne se caractériserait ni par ses sources, ni par ses auteurs, mais par son objet : le numérique.

II. Le numérique pris comme moyen de communication peut être difficile à appréhender car il est transversal et transnational. Il est transversal car il s’applique à tous les secteurs et est dans toutes les branches du droit international. On voit même émerger des principes propres à l’Internet. Mais l’élaboration de ces principes fondamentaux ne suffit pas à constituer une branche du droit international, même si on constate l’émergence aujourd’hui d’un ordre public numérique national et international. La deuxième difficulté du numérique réside en son caractère transnational, posant la question de la délimitation des frontières dans le cyberespace, entraînant des difficultés de qualification et rendant problématique l’élaboration du régime juridique des activités numériques.

III. Le numérique peut constituer une limite au droit international et ce pour deux raisons principales.

Le temps du droit et du numérique sont différents. Le droit ne doit pas chercher à aller aussi vite que le numérique car il y aurait un risque d’obsolescence trop rapide des règles. Il faut élaborer des principes généraux applicables plus facilement et limitant le risque de désuétude selon A.-Th. Norodom.

Les questions juridique et numérique sont complémentaires. Plusieurs exemples sont cités pour illustrer cette idée à la fois dans la protection des internautes et celle des Etats. Si la protection de la vie privée est efficace juridiquement, elle ne le sera pleinement dans le domaine numérique que si elle intègre des mécanismes techniques comme des outils informatiques qui permettent de ne pas être tracé numériquement par exemple.

A.-Th Norodom conclut que le numérique ne constitue pas une vraie limite au droit, à condition que les solutions proposées soient à la fois numérique et juridique, internationale et nationale. Ces observations générales peuvent être déclinées dans le domaine de la culture, reste à savoir si la CDEC a su prendre en compte cette ambivalence et cette diversité du numérique.

La prise en compte des technologies du numériques par la CDEC – Lilian Richieri Hanania (CEST/USP, IREDIES/Univ. Paris 1, CUREJ/Univ. Rouen)

Lilian Richieri Hanania débute son intervention en clarifiant l’idée que la CDEC est technologiquement neutre. Les négociateurs avaient bien à l’esprit toute cette complexité, ainsi que l’évolution rapide des technologies.

Le Préambule parle déjà de ce changement et le concept de diversité culturelle est écrit dans la CDEC de manière explicite, par l’utilisation de l’expression « quels que soit les moyens et technologies utilisés ». Par ailleurs, l’’article 12 sur la coopération internationale cite la promotion de l’utilisation de nouvelles technologies ; et l’article 14 sur le partenariat avec les pays en développement cite aussi la formation relative à l’usage des technologies comme moyen pour promouvoir le secteur culturel. Les nouvelles technologies sont également mentionnées déjà dans des directives opérationnelles adoptées pour la mise en œuvre de la CDEC.

L’aspect numérique est donc intégré dans la CDEC. La Convention offre un cadre juridique approprié, souple et fondé sur un soutien politique plutôt que sur des obligations juridiques, mais qui dépendent pour beaucoup de la volonté politique des Parties. Toutefois, de manière générale, peu d’exemples de mesures de politiques spécifiques au numérique sont citées dans la CDEC ou dans ses directives opérationnelles. Même quand ces dernières sont plus précises, afin de donner une impulsion plus forte à l’adoption de politiques fondées sur la CDEC, il semble manquer encore le mouvement politique qui doit les suivre.

Lilian Richieri Hanania pose alors plusieurs questions :

– Si le numérique implique des défis mais aussi des opportunités, comment en tirer le meilleur profit ? Et quels acteurs doivent être impliqués ?

– Concernant la spécificité des biens et services culturels garantis par la Convention, comment la notion d’exception culturelle apparaît-elle dans le contexte numérique ? Quelles sont les politiques et secteurs devant être couverts par une telle exception ? L’article 4.6 de la CDEC définit les « Politiques et mesures culturelles » en les indiquant de manière assez large. Comment doivent donc être rédigées ces exceptions ?

Etant donné la lenteur de la production de nouvelles directives opérationnelles spécifiques pour le numérique au sein de l’UNESCO face à la dynamique des nouvelles technologies, il est impératif de ne pas se contenter uniquement des directives. L. Richieri Hanania préconise l’élaboration de programmes de coopération internationale, et une meilleure collaboration entre les organisations internationales et, de manière générale, entre les différents acteurs impliqués. Par ailleurs, la culture doit être intégrée dans toutes les politiques de développement et les compétences spécialisées de chaque organisation internationale doivent être mises à profit pour répondre à l’avantage du numérique.

Panel I

Rapporteur : Elsa Edynak

10h-12h – Les enjeux du numérique pour la diversité culturelle

Modératrice : Lilian Richieri Hanania

Rostam Neuwirth (Université de Macao)L’économie créative, la convergence technologique et la diversité

Yvon Thiec (Eurocinéma) Diversité culturelle et numérique : vers une évolution des droits de l’homme ?

Pascal Rogard (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) La mise en œuvre de la CDEC, l’internet et les droits d’auteur

Luis Ferrão (Commission européenne, DG communication Networks, Conten and Technology, Creativity Unit)Renforcer les industries créatives avec les nouvelles technologies

Résumé des présentations

L’économie créative, la convergence technologique et la diversité – Rostam Neuwirth (Université de Macao)

Cette intervention propose de confronter la CDEC aux futures technologies, sous l’angle des conséquences possibles sur la culture. Dans cette optique, une identification des défis et opportunités apportés par ces nouvelles technologies est d’abord effectuée. Cette présentation révèle ainsi une accélération générale de la perception, entraînant de nombreux paradoxes ayant des conséquences sur le langage, la cognition et la logique de raisonnement mais également sur le sens et la sensibilité.

Néanmoins, une certaine convergence est observée entre les nouvelles technologies et la culture, donnant lieu dans un second temps à quelques propositions juridico-politiques concrètes pour faire face à ces nouveaux défis, qui demandent de chercher des solutions sur le fond de la pensée juridique. Il semble dès lors nécessaire de mettre en place une véritable coopération intellectuelle, ainsi que des techniques règlementaires novatrices. Parmi ces dernières, certaines existent d’ores et déjà et sont à utiliser, telle l’exception culturelle ; alors que d’autres sont à développer. C’est le cas par exemple de la création d’un droit global de la concurrence intégrant le standard de la diversité culturelle ou encore la convocation de conclaves sur la gouvernance.

Rostam Neuwirth suggère ainsi que les initiatives futures de l’UNESCO dans le domaine de la coopération intellectuelle comprennent la convocation d’un conclave, composé des directeurs généraux de toutes les organisations internationales pour affronter avec succès la complexité croissante des affaires mondiales.

Diversité culturelle et numérique : vers une évolution des droits de l’homme ? – Yvon Thiec (Eurocinéma)

Les technologies sont des usages sociaux qui embrasent la société. Si elles comportent de nombreux aspects positifs, notamment au niveau des services quotidiens (Airbnb, Tripadvisor etc.), Yvon Thiec souligne qu’il est néanmoins nécessaire de réfléchir à une méthode pour mieux les comprendre et donc mieux les appréhender.

Pour ce faire, Y. Thiec propose de réfléchir en termes épistémologiques et avance pour exemple une méthode de répertoriation exhaustive des activités menées sur le net, à l’instar de l’Encyclopédie du XVIIe siècle. Cette technique permettrait ainsi de faire valoir les aspects positifs du numérique tant sur la culture que sur les droits de l’Homme (en tant que moyen pour pallier l’insuffisance des technologies traditionnelles en Afrique, comme outil de formation sur la santé publique à l’attention des femmes au Bangladesh, etc.).

Mais cette approche met également en avant les aspects négatifs de ces nouvelles technologies, qui appellent notamment à la nécessité de sécuriser les entreprises. Yvon Thiec suggère de désectorialiser, de créer un type de règle universelle. Ces remèdes pourront en outre être transposés au secteur culturel, étant donné le lien direct entre le fonctionnement de la diversité culturelle et les problèmes d’accès au marché.

La mise en œuvre de la CDEC, l’internet et les droits d’auteur – Pascal Rogard (Société des auteurs et compositeurs dramatiques)

Dans un premier temps, Pascal Rogard constate que l’analyse de la règlementation sur la culture et le numérique laisse apparaître que l’internet a la caractéristique de permettre de passer outre les règles nationales établies en matière de politique culturelle, et notamment son système d’autorisation. Cette pratique est en partie liée à l’opacité entourant la législation en la matière (voy. l’avis du Conseil d’Etat français sur le projet de loi pour une République numérique), et a pour conséquence d’inciter les grandes entreprises à s’installer dans des pays à faible fiscalité, entraînant des situations de concurrence déloyale.

Dans ce contexte, Pascal Rogard considère que la CDEC apparaît comme un exemple de réussite normative, en ce sens qu’après deux ans de négociations pour être adoptée, elle a su produire des effets juridiques (ex : CJCE, Affaire C-222/07, 5 mars 2009, Unión de Televisiones Comerciales Asociadas (UTECA)). En revanche, la position actuelle de la Commission européenne semble freiner la dynamique politique.

C’est pourquoi le « combat » doit continuer selon Pascal Rogard. Les nombreux enjeux du numérique en lien avec la culture exposés dans un second temps (droit d’auteur, disponibilité des œuvres sur internet, propriété intellectuelle, etc.) ne font qu’appuyer cette nécessité. Or, si on ne peut nier l’existence d’une certaine dynamique législative (fin 2015, le parlement français a voté une obligation d’exploitation suivie des œuvres), il faut à présent combler les lacunes. P. Rogard suggère d’organiser la portabilité de l’internet (puisque la territorialité est désormais acquise) et d’inventer de nouveaux mécanismes, tel un système de licence globale pour remplacer le droit d’auteur ; bien qu’en vertu de la littérature spécialisée, il semblerait que les grands principes du droit d’auteur soient facilement transposables aux services internet. Reste à savoir s’il existe une capacité politique de régler les problèmes et de trouver les solutions de régulation nécessaires.

Renforcer les industries créatives avec les nouvelles technologies – Luis Ferrão (Commission européenne, DG communication Networks, Content and Technology, Creativity Unit)

Le domaine numérique serait un « changeur de jeu », en ce sens qu’il bouscule les règles établies par la complexité qu’il induit. La numérisation et l’accessibilité en ligne créent un bouleversement des modèles traditionnels, transforment les chaînes de valeur et appellent à de nouvelles approches du patrimoine culturel. Ainsi, le numérique est un « changeur de jeu » pour la culture (environnement connecté à l’échelle mondiale, moyens inédits de recherche, etc.), mais également pour la créativité (via l’émergence des interactions et d’effets systémiques) et enfin pour le secteur culturel et créatif dans son ensemble (avec des possibilités inédites pour les institutions culturelles dans la préservation, la diffusion et la réutilisation du patrimoine culturel).

Or, ces nouvelles formes hybrides sont difficiles à maîtriser, elles donnent lieu à de nouveaux usages et le cadre juridique n’en fixe pas complètement les contours du fait de sa nouveauté. Il faut toutefois reconnaître que pour faire face à ce changement, l’Union européenne dispose déjà d’une véritable « boîte à outils » (recommandations de 2011 sur la numérisation et l’accessibilité en ligne du matériel culturel, communication vers une approche intégrée du patrimoine culturel européen (2014), directive 2013 sur la réutilisation de l’information du secteur public, plateformes comme Europeana, supports financiers, etc.).

Le numérique et les nouveaux outils de communication apportent des possibilités inédites d’accessibilité et de partage de ce patrimoine, qui enrichit l’offre de contenu culturel de manière permanente et simple. Luis Ferrão préconise de faciliter le flux global de données afin de profiter des potentialités inhérentes au numérique.

Résumé des débats

Le débat s’ouvre sur deux questions centrales posées par les organisatrices du colloque.

Premièrement, en ce qui concerne les accords commerciaux, étant donné la difficulté de comprendre la réalité numérique, la position défensive fondée notamment sur l’exception culturelle paraît logique. Lilian Richieri Hanania demande alors comment dépasser cette position défensive pour pouvoir aller plus loin en termes d’accessibilité et de partage, tout en garantissant une rémunération juste des auteurs et en passant par la coopération internationale ?

Deuxièmement, étant donné que la logique binaire du droit s’oppose à la pensée paradoxale du numérique, la révolution numérique évoquée par les intervenants nécessite-t-elle une révolution juridique ? Anne-Thida Norodom interroge les intervenants sur la question de savoir si cette révolution au jour le jour nécessite une révolution du droit ou s’ils jugent possible de continuer d’utiliser les instruments existants.

L’échange qui suivit fit effectivement ressortir les problèmes liés aux normes, notamment pour les entreprises, pour lesquelles il faut recréer un cercle vertueux. Yvon Thiec considère que les remèdes sont simples puisqu’ils ne demandent pas forcément de réviser le droit – dans ce cas, la CDEC -, il faut y voir une opportunité pour repenser les normes.

Par ailleurs, Rostam Neuwirth confirme l’idée d’une révolution de la pensée juridique, car avant qu’il y ait un changement dans les actions, il est nécessaire de trouver les mots exacts pour encadrer ce développement. Il est donc peut être encore trop tôt pour en tirer des conclusions.

Le débat a ensuite porté sur la décision de la CJUE sur la TVA du livre numérique et ses effets sur le développement de cet outil. Il fit ressortir le véritable problème de la fiscalité numérique, consistant en ce que la même chose – un livre – est traitée de manière différente selon la façon dont elle est délivrée. On a voulu privilégier la lecture mais ce qui est fait dans le monde physique doit se faire dans le numérique. Il y a un vrai sujet de fiscalité, qu’elle soit directe ou indirecte. Il faudrait changer de mode de fiscalité pour passer à une fiscalité sur les données et soumettre les services numériques à l’imposition et à la règlementation du pays auquel ils s’adressent. Dans le cadre de l’UE, il semble y avoir deux solutions pour soutenir la création, d’une part, une réglementation forte au niveau des directives européennes et, d’autre part, la renationalisation. Selon Pascal Rogard, la territorialisation serait un moyen de résoudre le problème pour régulariser le net. Luis FERRÃO rappelle que l’établissement d’un cadre juridique à la nouvelle réalité numérique constitue un défi qui dépasse tous les hommes, c’est pourquoi il est si difficile à l’appréhender avec une approche purement sectorielle.

Analyse conclusive du panel I

Le premier temps de ce colloque a mis en avant la complexité du numérique. En effet, qu’il soit pris comme technique ou moyen de communication, le numérique est ambivalent, diversifié, transversal, transnational et évolutif. En outre, l’internet a la caractéristique de permettre de passer outre les règles nationales établies en matière de politique culturelle. En bousculant les règles établies de par sa complexité, il devient ainsi un « changeur de jeu », tant pour la culture et la créativité, que pour le secteur culturel dans son entier. Le numérique constitue dès lors en même temps un défi en termes de protection normative. Mais sa nature donne lieu à une réalité nouvelle, difficile à appréhender et dont les contours ne sont pas clairement fixés par le droit.

Si la question du rôle du droit international face à cette complexité du numérique se pose, la source considérable d’opportunités qu’il constitue rend absolument nécessaire son encadrement par le droit. Les différents intervenants ont démontré à quel point le droit international avait formellement évolué dans cette optique. Néanmoins, des lacunes restent à combler et il semble qu’il faille notamment chercher des solutions sur le fond de la pensée juridique, en utilisant ce qui existe déjà, mais également en mettant en place des techniques règlementaires novatrices. Les intervenants ont d’ailleurs été force de proposition en ce sens, l’avantage étant qu’après l’appréhension du numérique, les mécanismes rencontrés seront facilement transposables au secteur culturel. Dans ce contexte, la CDEC apparaît comme un exemple de réussite normative.

Finalement, le temps du droit étant différent de celui du numérique, c’est le juge qui devra assurer la protection des acteurs du numérique par la mise en œuvre de textes non spécifiques avant l’adoption, à l’échelle internationale et nationale, de la règlementation nécessaire. Ce sera également à lui d’assurer l’effectivité de principes nouveaux face à des situations et pratiques inédites. Il ne faut pas penser la protection de manière chronologique ; en étant prise par le juge, elle s’effectuera en parallèle du travail législatif. Le juge est amené à jouer un rôle central dans ce domaine et la complexité du numérique s’appliquera à lui également ; d’autant plus qu’il devra assurer la sauvegarde des valeurs d’un monde physique dans un univers virtuel.

Panel II

La prise en compte du numérique par les parties prenantes de la Convention

13h30 – 15h : (1ère partie) L’action aux niveaux interétatique et étatique

Rapporteur : Adam Abdou-Hassan

Modératrice : Anne-Thida Norodom (Université de Rouen)

Rémi Gimazane (Chef du département de l’économie du livre, Ministère de la Culture et de la Communication) L’adaptation des politiques de soutien au marché du livre numérique en France

Antonios Vlassis (FNRS, Université de Liège) – La coopération entre organisations internationales pour la mise en œuvre de la CDEC à l’ère numérique

Toussaint Tiendrébéogo (Organisation internationale de la Francophonie) – La promotion de la CDEC à l’ère du numérique par l’Organisation internationale de la Francophonie

RÉSUMÉ DES PRÉSENTATIONS

La première partie de ce panel se penche sur les méthodes de prise en compte du numérique par les acteurs étatiques et les organisations internationales dans la mise en œuvre de la Convention.

L’adaptation des politiques de soutien au marché du livre numérique en France – Rémi Gimazane (Ministère de la Culture et de la Communication)

Rémi Gimazane commence par présenter la diversité des fonctions du Ministère de la Culture et de la Communication. Dans ce cadre on relève que les missions du Ministère rentrent dans les objectifs de la Convention. En France, l’action publique en direction du livre et de la lecture est une action qui s’applique au secteur économique. C’est pourquoi les initiatives du département de l’économie du livre du Ministère s’orientent autour de deux grands axes :

– le contrôle, l’évaluation, la conception de toutes les politiques d’intervention, c’est-à-dire un système de redistribution qui permet de financer la publication et la circulation des ouvrages.

– la régulation, qui est le versant le plus structurant. La régulation du secteur du livre s’effectue dans une sphère libérale qui a une double nature, c’est-à-dire une régulation à la fois économique et une régulation par le droit d’auteur. Ainsi, l’arrivée du numérique dans le secteur du livre a permis de règlementer le prix du livre numérique et d’encadrer l’exploitation des livres numériques indisponibles.

La régulation économique du livre numérique s’est opérée avec la loi n°2011-590 du 26 mai 2011 sur le prix unique du livre numérique. Il s’agit, selon Rémi Gimazane, d’une politique visant à défendre les acteurs déjà présents sur le marché et à éviter le changement brutal et les effets désastreux observés avec l’arrivée du numérique dans le monde de la musique. La loi de 2011, qui concrétise le rapport de Bruno Pinto sur le livre numérique du 30 juin 2008, est un instrument autonome et spécifique qui encadre aussi les activités de nouveaux acteurs nés de l’apparition du livre numérique. Ces nouveaux acteurs peuvent maximiser leurs profits en vendant le livre à zéro euro et profiter des moyens connexes au livre pour se rémunérer. R. Gimazane partage la perspective selon laquelle la loi sur le prix unique du livre numérique n’est pas attachée à un état de la technique et elle vise à prévenir la concentration dans ce domaine afin de promouvoir sur le marché des œuvres nouvelles.

La régulation par le droit d’auteur s’est effectuée principalement par la loi n°2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles au XXe siècle. Pour le représentant du Ministère de la Culture et de la Communication, cette législation ambitionne d’aller au-delà d’une politique défensive et conservatrice avec la promotion d’un objectif d’intérêt général par la numérisation des œuvres. Le numérique sert ainsi à préserver le patrimoine, la mémoire nationale et il peut être le seul moyen pour accéder au savoir pour certaines personnes atteintes de handicaps dans le domaine des troubles du langage et des apprentissages. Rémi Gimazane relève que cette opération a fait naître des contentieux relatifs à la protection du droit d’auteur, du fait notamment de la numérisation d’ouvrages encore sous droits d’auteur par Google.

Ces deux exemples de régulation du livre numérique permettent d’appréhender les politiques publiques dans le champ de la diversité de la production éditoriale et des titres publiés en France.

La coopération entre organisations internationales pour la mise en œuvre de la CDEC à l’ère numérique – Antonios Vlassis (FNRS, Université de Liège)

Antonios Vlassis se penche ici sur la question de la place de la coopération entre organisations internationales à l’ère du numérique concernant la CDEC.

Pour lui, il subsiste une spécificité de l’Union européenne qui a participé à la rédaction de la CDEC et l’a ratifiée. Il note qu’une résolution a été adoptée à la cinquième session de la conférence des Parties de la CDEC pour poursuivre la coopération avec les organisations internationales.

Au niveau du comité intergouvernemental et de la conférence des Parties de la CDEC, A. Vlassis revient sur la participation de certaines organisations multilatérales à la CDEC en tant qu’observateurs. Entre 2005 et 2015, exception faite de l’Union européenne qui est Partie à la Convention, 11 organisations multilatérales étaient présentes à au moins une de ces sessions. L’Organisation internationale de la Francophonie est la plus active aux côtés de l’Union internationale des télécommunications, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, la Banque mondiale ou encore l’organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences, etc.

Ensuite, il expose les objectifs de la coopération entre organisations multilatérales dans le cadre de la Convention de 2005, lesquels concernent essentiellement : l’assistance technique, l’assistance financière, la construction de cadres conceptuels et la collecte de données et expertises. Si les partenariats dans ces quatre domaines ne sont pas strictement liés à la Convention de 2005, les organisations internationales utilisent cette dernière comme instrument de légitimation et de justification de leurs coopérations.

Enfin, pour Antonios Vlassis, les raisons d’une telle coopération entre ces organisations multilatérales sont multiples : domaines d’activités partagés, dépendance mutuelle des ressources pour aborder un enjeu et la nature multidimensionnelle de l’enjeu, la pression extérieure, le leadership politique, la nécessité d’améliorer la visibilité de l’organisation multilatérale, avec comme élément déclencheur la Convention de 2005.

La promotion de la CDEC à l’ère du numérique par l’Organisation internationale de la Francophonie – Toussaint (Organisation internationale de la Francophonie)

Pour Toussaint Tiendrébéogo, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) bénéficie d’un rôle prééminent dans le cadre de la CDEC. C’est la première organisation à avoir adopté une résolution sur la nécessité d’un instrument sur la protection de la diversité culturelle dès 1999. Elle est la première organisation internationale à avoir adopté une résolution en 2014 sur les défis du numérique pour la Convention. Ce rôle de l’OIF s’effectue dans le cadre de son double mandat d’acteur des relations internationales et de la mise en place d’un espace de solidarité et de coopération.

Toussaint Tiendrébéogo cite l’article 12 de la CDEC qui promeut la coopération internationale et l’OIF s’attèle à mettre en œuvre le principe énoncé par cet article avec le renforcement des capacités des pays francophones fragiles par la consolidation de leurs industries culturelles. Ce soutien aux industries culturelles des pays francophones du Sud s’exécute en deux volets :

– la gouvernance. Par le moyen d’un programme qui appuie les politiques culturelles dans le but de renforcer leurs capacités d’encadrement, de régulation et de financement des politiques culturelles. Et un autre volet portant sur la gouvernance d’internet, en intégrant notamment les points de vue des pays francophones du Sud au niveau de l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers).

– le renforcement des capacités dans le domaine de la production et de la préservation d’accès à des contenus numériques. L’intervention de l’OIF se fait ici essentiellement par le biais d’un fonds sur l’innovation du numérique pour accroître des contenus en français sur internet. Elle soutient aussi la numérisation des contenus et la production et la diffusion de films numériques.

Toussaint Tiendrébéogo a ainsi dressé un tableau des multiples interventions de l’OIF dans le cadre de la mise en œuvre de la Convention de 2005.

RÉSUMÉ DES DÉBATS

Les points débattus lors de cette première partie de ce panel concernaient : le rapport sur les industries créatives au niveau onusien, les activités de l’OIF relatives à la traduction automatique d’autres langues, la coopération entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et les perspectives d’avenir de la mise en œuvre de la Convention à l’ère du numérique.

Il existe une collaboration des organes de l’ONU dans le cadre des industries culturelles, principalement entre le PNUD et la CNUCED. Le rapport sur les industries créatives est une initiative basée principalement sur l’UNESCO. Si l’article 21 de la Convention insiste sur la concertation et la coordination internationales entre les Parties dans d’autres enceintes internationales en ce qui concerne ses objectifs et principes, l’on remarque qu’au-delà de l’UNESCO, il n’y a aucune coopération.

Toussaint Tiendrébéogo rappelle que si l’OIF a un mandat de promotion de la langue française, elle prend en compte la question du multilinguisme. Elle travaille notamment avec d’autres communautés linguistiques (la communauté des langues portugaises et la communauté des langues espagnoles).

Dans les relations ACP-UE, au niveau de l’accord entre l’UE et le CARIFORUM, il existe un protocole sur la coopération culturelle ; on pousse les États qui n’ont pas ratifié la Convention de 2005 à le faire rapidement. Un des effets de ce protocole fut une ratification de celle-ci par 9 ou 10 pays des Caraïbes entre 2008 et 2010.

Les perspectives d’avenir de la mise en œuvre de la Convention à l’ère numérique au niveau français passent par une réouverture au niveau de l’UE de la question de l’unification du cadre du droit d’auteur. Selon A. Vlassis, au niveau des organisations internationales la coopération est nécessaire par la mobilisation de facteurs comme : une complémentarité des ressources, une pression intergouvernementale et la promotion de la Convention au-delà du cadre de l’UNESCO. Au niveau de l’OIF, l’on réfléchit à l’idée de résorber l’asymétrie entre les industries culturelles du Nord et du Sud et une politique culturelle non basée sur la notion de territoire.

ANALYSE CONCLUSIVE DE LA PREMIÈRE PARTIE DU PANEL II

On relève une approche fragmentée de la prise en compte du numérique par les parties prenantes de la Convention tant au niveau étatique qu’au niveau interétatique. Le processus d’éclatement et son résultat, c’est-à-dire un droit fragmenté, s’expliquent par la spécialisation des organisations internationales et la diversité des acteurs et des intérêts au niveau national. L’article 14 de la Convention sur la coopération pour le développement aurait pu servir de levier pour établir une coopération transversale entre les différentes organisations internationales, d’autant plus que l’année 2015 correspondait au renouvellement des objectifs du millénaire pour le développement en objectifs du développement durable, à l’année européenne du développement et à l’anniversaire des dix ans de l’adoption de la Convention. La mise en œuvre efficace de l’échange, l’analyse et la diffusion de l’information prévue par l’article 19 de la Convention par le biais du numérique peut revigorer le caractère transnational de ces questions. L’idée de « complémentarité » posée à l’article 20 de la Convention peut aussi permettre d’aller au-delà de politiques nationales défensives. Toutefois, comme le souligne Antonios Vlassis, la réussite de ces préconisations est une question politique et c’est le rôle de la société civile d’arriver à l’insérer dans la construction du débat public.

Panel II

La prise en compte du numérique par les parties prenantes de la Convention

15h15-16h45 : (2ère partie) La diversification des acteurs impliqués

Rapporteur: Sandie Batista

Modérateur : Stéphane Pessina-Dassonville (Université de Rouen, CUREJ)

Pascale Thumerelle (Vivendi) – La contribution à la diversité culturelle par le secteur privé

Charles Vallerand (FICDC) – Le rôle de la société civile dans la promotion de la Convention à l’ère du numérique

RÉSUMÉ DES PRÉSENTATIONS

La seconde partie de ce panel se penche sur la diversification des acteurs impliqués et particulièrement sur la place de la société civile dans la promotion de la diversité culturelle.

La contribution à la diversité culturelle par le secteur privé – Pascale Thumerelle (Vivendi)

Pascale Thumerelle débute son intervention en indiquant que Vivendi a célébré les 10 ans de la CDEC et que ce texte est très important pour l’entreprise. Elle présente brièvement l’entreprise Vivendi qui est un acteur majeur des médias et plus largement de la diffusion de la culture. La directrice de la responsabilité sociétale de l’entreprise explique ensuite que Vivendi défend la créativité pour des raisons économiques ; en effet, sa mission est de découvrir et d’accompagner des nouveaux talents au niveau international afin d’offrir une offre originale au public. Garantir la diversité des contenus culturels et la croissance économique de l’entreprise sont, aux yeux de Vivendi, indissociables.

L’entreprise défend la diversité culturelle et lui fait une place importante en l’intégrant dans la politique de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Chez Vivendi la politique de RSE est composée de quatre critères stratégiques : l’accompagnement de la jeunesse à l’ère numérique, le partage des connaissances, la protection des données personnelles et la diversité culturelle. Cette RSE est une réponse des entreprises au développement durable constitué par l’équilibre entre la croissance économique, la cohésion sociale et le respect de l’environnement.

Pascale Thumerelle indique que l’intégration de la diversité culturelle dans la RSE traduit bien le fait qu’il s’agit d’un enjeu majeur pour l’entreprise. C’est la raison pour laquelle Vivendi qualifie la diversité culturelle de droit de l’homme. Elle est ainsi située au plus haut niveau de gouvernance de Vivendi et afin de la garantir, elle l’accompagne d’un reporting. En 2004, l’entreprise a émis un protocole à destination de ses sociétés de diffusion de la culture afin de savoir comment celles-ci garantissaient la diversité culturelle. Pascale Thumerelle explique que lorsque le critère de diversité culturelle n’était pas satisfait, le pilier économique s’affaiblissait. Elle fournit ensuite quelques chiffres en précisant que plus de 89% du chiffre d’affaires d’Universal Music est issu du numérique. Les responsables des sociétés relevant du groupe Vivendi doivent donc s’assurer que le contenu qu’ils diffusent particulièrement via le numérique respecte la diversité culturelle. Si ce critère n’est pas rempli, la partie variable de la rémunération des dirigeants se voit impactée. Ainsi, Universal Music doit rendre compte de son investissement relatif à la découverte de talents locaux et aux dépenses de marketing faites en leur faveur. Par ailleurs, la dimension « genre » est aussi prise en compte par Vivendi puisque le reporting impose de chiffrer la participation des femmes à la découverte, la participation, la production ou la réalisation des œuvres de culture.

Enfin, P. Thumerelle ajoute qu’il existe un dialogue constructif entre toutes les parties prenantes grâce notamment au lancement d’un site internet « Cultures with Vivendi ». Ces parties prenantes sont les investisseurs, les ONG, les artistes, les pouvoirs publics ou encore les autres entreprises. Ce site, lancé en 2012, a notamment permis de récolter différentes études prouvant que la culture est facteur de cohésion sociale et de progrès économique.

Pascale Thumerelle conclut son intervention en précisant qu’assurer la diversité culturelle est une responsabilité partagée pour faire de la culture un levier de cohésion sociale et une nécessité pour construire le vivre ensemble d’aujourd’hui.

Le rôle de la société civile dans la promotion de la Convention à l’ère du numérique – Charles Vallerand (FICDC)

Charles Vallerand commence par rappeler que les Parties à la Convention ont l’obligation de remettre un rapport quadriennal faisant état de leur application de la Convention. La présence de la société civile lors des réunions et assemblées, et particulièrement la présence de la société civile aux cotés de l’administration reste assez inhabituelle. La raison évoquée par Ch. Vallerand tient à la difficulté pour les représentants de cette société civile de s’entendre sur des enjeux de « commerce/culture ». Ces représentants connaissent des problèmes pour déterminer ce qui entre ou non dans la notion de « diversité culturelle », chacun craignant que la définition du contenu de cette notion se fasse au détriment de sa propre expression culturelle.

Charles Vallerand aborde ensuite le numérique en indiquant que c’est un domaine aussi vaste de potentialité de bien ou de mal. Il insiste sur le fait que la mobilisation des Parties et particulièrement celle des Etats du Sud est très difficile car les rédacteurs de la Convention, et l’UNESCO plus largement, n’ont pas nécessairement porté leur attention sur leur situation spécifique et sur leur rapport au numérique. Il est donc indispensable de remobiliser les Etats du Sud autour du numérique. C’est précisément l’un des éléments sur lequel la société civile, notamment représentée par la FICDC, tente d’attirer l’attention.

Cependant, Charles Vallerand a relevé que c’est justement la place de la société civile qui pose problème puisque les Parties à la Convention ne reconnaissent pas, dans la pratique, son importance. Lors des débats, la société civile intervient toujours à la fin, lorsque les Etats se sont déjà décidés. Le Secrétariat de la Convention s’est saisi du problème et désormais chaque réunion sera l’occasion de faire un point sur la place de la société civile dans la promotion de la diversité culturelle.

Outre la place de la société civile, Ch. Vallerand a relevé un autre problème qui tient au caractère non contraignant de la Convention. La seule obligation qu’elle impose aux Pparties est de soumettre des rapports quadriennaux. Cette absence de contrainte pourra peut-être changer avec l’ouverture aux Etats du Sud, si certains en font la demande. Selon Charles Vallerand, ce qui permettra de garantir la promotion de la diversité culturelle, ce n’est pas la Convention, mais la volonté des Etats de mener une politique proactive pour la culture.

RÉSUMÉ DES DÉBATS

Stéphane Pessina-Dassonville insiste sur la nécessité d’une collaboration multilatérale entre toutes les agences des Nations Unies. Il établit un parallèle avec l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) qui, de 2006 à 2010, a travaillé en lien avec les représentants de la CDEC et avec ceux de l’OIF. Il faut avoir à l’esprit que c’est au sein de l’OMPI que se négocient depuis 2006 des traités sur la protection des savoirs traditionnels qui renvoient eux-mêmes aux expressions culturelles traditionnelles. Il y a un lien très fort entre d’autres organisations et conventions internationales d’une part et la diversité culturelle d’autre part. Il fait remarquer que tous les intervenants ont signalé qu’il faut arrêter de continuer à vivre dans ce monde fragmenté où l’on dissocie tous les sujets, où nous avons tendance à disjoindre les logiques pour les faire traiter par des institutions différentes : OIT, UNESCO, OIF, etc. S. Pessina-Dassonville indique qu’il est d’accord avec l’idée selon laquelle il faudrait créer une institution plus large de réunion car il serait bien plus logique de faire travailler ces organes les uns avec les autres que séparément, même si cela pose des difficultés. Le numérique peut alors être une clef d’émancipation. Il établit ensuite un parallèle avec le mouvement international des peuples autochtones où le numérique a permis de créer un mouvement et de fédérer des personnes. Cet intérêt lié au numérique doit s’accompagner d’un effort pour intégrer ces connaissances et expressions culturelles traditionnelles dans la logique plus large des expressions culturelles « tout court ».

Charles Vallerand rappelle que la Convention ne s’applique qu’aux Parties et qu’elle n’est pas la Convention de tout le monde. Concernant la difficulté d’intégrer la société civile et d’avoir une approche globale de la diversité culturelle, selon lui, une partie de la réponse vient du fait que deux logiques sont à l’œuvre : une logique commerciale et une logique de confrontation culturelle. La FICDC agit pour trois choses : protéger le patrimoine, l’actualiser et le dynamiser. Il faut le sortir des musées pour l’utiliser et le partager et, selon lui, il faut davantage faire œuvre de promotion que de protection de la diversité culturelle.

Anne-Thida Norodom admet que la coopération entre les organisations internationales est un objectif souhaitable mais que cela est très difficile à mettre en œuvre car chaque organisation est fondée sur un principe de spécialité. Ainsi la coopération entre organisations est compliquée, chacune devant rester dans le cadre de ses compétences. Il existe un Conseil des chefs de secrétariat pour les organes des Nations Unies qui coopèrent d’une part et il existe, d’autre part, sur des problématiques particulières, des comités inter-organisation. Mais au-delà de cet aspect de spécialisation, il est compliqué d’avoir une lecture transversale et de faire travailler toutes les organisations sur un même sujet. A.-Th. Norodom établit un parallèle avec le domaine de l’environnement, dans lequel s’est posée la question de savoir s’il fallait créer une organisation propre ou s’il fallait laisser cette problématique transversale être traitée de manière sectorielle par toutes les organisations. L’inconvénient d’avoir une organisation propre est que cela isolerait la problématique de toutes les autres.

Une question a été posée à Pascale Thumerelle relative au contexte qui a amené Vivendi à intégrer la diversité culturelle dans ses objectifs. Il s’agissait aussi de savoir quel rôle la Convention avait joué pour Vivendi et enfin si d’autres sociétés avaient adopté le même comportement. Pascale Thumerelle a commencé par distinguer entre la RSE et le mécénat. Le fait de promouvoir la diversité culturelle est une stratégie économique, il s’agit pour Vivendi d’anticiper les modèles économiques sur le long terme. La notion de « risque » est très importante car l’obésité intellectuelle ou la pollution d’esprit sont les risques de la non-diversité culturelle. En termes économiques, Vivendi ne pourra pas prospérer si elle n’anticipe pas ce risque. Les indicateurs du reporting sont indispensables afin de savoir comment les sources créatives sont accompagnées et afin d’être sûr qu’elles le soient correctement pour renouveler l’offre de culture. Concernant la deuxième partie de la question, Pascale Thumerelle indique que la Convention a été la bienvenue car peu de textes traitaient de la diversité culturelle. Mais elle reconnaît aussi que ce texte n’est pas assez exploité dans la communication alors qu’il est l’un des rares à expliquer que sans cette diversité culturelle la cohésion sociale, la dignité et le respect des personnes sont menacés. D’autres industries ont fait de la diversité culturelle un pilier et cela reflète véritablement l’existence d’une approche européenne. Pour garantir le développement durable ainsi qu’un esprit critique, les plus jeunes doivent avoir accès à une offre de contenus diversifiée et équilibrée.

Enfin, Toussaint Tiendrébéogo, représentant de l’OIF, a pris la parole afin d’indiquer qu’il existe également une difficulté pour les Etats eux-mêmes à prendre en compte la transversalité de certaines problématiques.

ANALYSE CONCLUSIVE DE LA SECONDE PARTIE DU PANEL II

La diversité culturelle est une problématique transversale aussi bien en termes de sujet d’étude qu’en termes d’acteurs impliqués, qu’ils soient publics ou privés. Nous avons pu voir à l’issue de ce panel que la société civile a bien une place dans la promotion de la diversité culturelle. Mais il est aussi ressorti des différentes interventions la nécessité d’impliquer davantage la société civile dans cette promotion. Les organisations internationales et le droit international de manière générale ont tendance à aménager une place de plus en plus grande aux représentants de la société civile, qu’ils s’agissent d’ONG ou de professionnels. A côté de ces questions relatives à la place des acteurs privés, place qui est appelée à s’accroître, le débat a mis en exergue la difficulté née de l’absence d’harmonisation ou simplement de coopération entre les différentes organisations internationales. La fragmentation et la sectorisation des sujets nuisent à une approche cohérente et efficace en matière de diversité culturelle. Ce constat soulève certaines questions : si le cadre de compétence des organisations internationales connaît des difficultés pour intégrer cette problématique transversale qu’est la diversité culturelle, quelle place ces mêmes institutions peuvent-elles donner à la société civile pour traiter de cette problématique ? Comme l’a énoncé Ch. Vallerand lors de son intervention, la place et l’importance accordées à la diversité culturelle ne dépendent pas de la Convention mais de la seule volonté de faire ou de ne pas faire des Etats. Il apparaît que cela vaut également pour la place et l’importance accordées à la société civile.



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