Introduction – Diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique

Lilian Richieri Hanania & Anne-Thida Norodom[1]

I – La Convention de 2005 de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles et le numérique

Adoptée le 20 octobre 2005, la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (CDEC) (dans cet ouvrage : Vlassis & Richieri Hanania, V.1, texte 19) constitue un cadre normatif pour les mesures et politiques culturelles, ainsi que pour la coopération culturelle internationale. Elle touche à la gouvernance des industries culturelles et des échanges des biens et services culturels. En vigueur depuis mars 2007, elle regroupe déjà 144 Parties, dont l’Union européenne, ce qui témoigne de l’importance des sujets dont elle traite.

Bien que son objet dépasse le débat « commerce et/versus culture », ce dernier a été au cœur de l’élan qui a conduit à la négociation et à l’adoption de cette Convention, les accords commerciaux pouvant restreindre la marge de manœuvre des Etats en matière de politique culturelle. En quelques mots, la libéralisation commerciale peut entraîner la prise d’engagements de non-discrimination par les Etats tant à l’égard de produits et services similaires aux produits et services nationaux (obligation de traitement national), comme entre produits et services étrangers, un Etat ne pouvant pas traiter de manière préférentielle un partenaire au détriment d’un autre (clause de la nation la plus favorisée). Cette logique s’applique sur le plan multilatéral (Accords de l’OMC) et également dans le cadre des accords commerciaux régionaux et bilatéraux. En effet, d’un point de vue strictement juridique, il n’existe pas d’« exception culturelle » au sein des Accords de l’OMC et les effets que ces accords peuvent avoir sur le commerce des biens et services culturels sont multiples (voir, par exemple, Richieri Hanania 2009 et, dans cet ouvrage: Richieri Hanania, V.2, texte 20).

En matière de biens et services fournis par voie électronique ou en lien avec les technologies de l’information et de la communication, les règles de l’OMC et celles contenues dans les accords signés ces dernières années par l’Union européenne semblent à ce jour plus respectueuses de la diversité des expressions culturelles que les accords conclus avec les Etats-Unis (dans cet ouvrage: Richieri Hanania, V.6, texte 23) (RIJDEC 2015). Dans le cadre de ces derniers accords, une catégorie sui generis de « produits numériques » a été créée de manière à renforcer davantage les obligations de non-discrimination des parties. Au sein de l’OMC, le cadre régulateur le plus directement applicable à l’environnement numérique se compose de l’Accord sur les Technologies de l’Information (ATI) (dans cet ouvrage: Neuwirth, V.3, texte 21), des engagements en matière de commerce électronique (dont le cœur se trouve notamment dans l’obligation pour les Membres de ne pas appliquer des droits de douane aux transactions électroniques[2]) et des engagements de chaque Membre relatifs aux services, adoptés au sein de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS), dans la mesure où ils couvrent la fourniture de services par voie électronique. A leur tour, les accords commerciaux négociés par l’Union européenne autorisent également une certaine flexibilité aux partenaires commerciaux impliqués, en promouvant la coopération dans différents thèmes et politiques en matière de commerce électronique, tout en excluant les services audiovisuels (qu’ils soient analogiques ou numériques) des engagements de non-discrimination adoptés par les parties au titre de ces accords.

La CDEC étant technologiquement neutre, elle offre aux Etats un soutien politique et symbolique pour qu’un traitement juridique spécifique soit attribué dans les accords commerciaux aux biens et services culturels, indépendamment de leur nature analogique ou numérique (dans cet ouvrage : Rogard, chapitre 17, texte 10). La CDEC réaffirme en effet la légitimité des mesures et politiques culturelles nationales, laquelle découle de la spécificité des biens et services culturels, elle-même résultante de la double dimension, culturelle et économique, que présentent ces biens et services. En s’appuyant sur la CDEC lors de la négociation d’accords commerciaux et si elles en ont la volonté politique, les Parties à cette convention peuvent refuser de libéraliser des secteurs culturels dans lesquels elles souhaitent maintenir leur marge de manœuvre pour adopter les politiques culturelles les mieux adaptées à leurs circonstances économiques, culturelles, politiques et sociales. Dans le contexte des nouvelles technologies, maintenir une telle marge de manœuvre semble d’autant plus fondamental que l’évolution du marché de contenus culturels numériques est extrêmement dynamique, appelant à une intervention étatique rapide et flexible pour répondre aux défis en matière de diversité culturelle.

En vue d’échanges plus équilibrés et diversifiés de biens et services culturels, l’intervention des Etats au niveau national via des politiques publiques doit être complétée par des actions de coopération internationale. Il s’agit du deuxième grand volet traité par la CDEC, avec un accent particulier sur la contribution de la diversité culturelle au développement durable. Dans la continuité des études et rapports réalisés par l’UNESCO au long des dernières décennies en matière de culture et développement et en réitérant la part fondamentale de la culture dans le développement durable (article 13 de la CDEC), la CDEC a été une pierre angulaire des efforts en vue de l’intégration de préoccupations culturelles dans les Objectifs des Nations Unies pour le Développement Durable (United Nations Sustainable Development Goals (SDGs)) de 2015 (United Nations 2015). Ces préoccupations apparaissent notamment dans les paragraphes 8[3] et 36[4] de la Déclaration des SDGs, ainsi que dans les Objectifs 4.5, 4.7, 8.9, 11.4 et 12.b. Le lien clair que la CDEC établit avec le concept de développement durable – concept qui, depuis ses origines, vise la coordination entre thèmes et systèmes juridiques distincts, voire opposés – invite à un regard global, intégratif et ouvert de son objet, capable de rendre compte de la complexité des questions qu’il soulève, tant en termes de sujets, que d’acteurs et de niveaux d’action affectés (allant du local, au national, au régional et à l’international). Il s’agit en effet d’une convention qui couvre, en raison même de la complexité de son objet, une panoplie de sujets, préoccupations et objectifs, souvent traités par des acteurs et organisations internationales très divers. Face à l’impression de fragmentation du droit et des enceintes nationales et internationales concernées, la CDEC appelle à une plus grande coordination et cohérence, celles-ci étant indispensables pour sa mise en œuvre utile et efficace (Richieri Hanania 2014).

La Convention adopte en effet une vision systémique, en prenant en compte de nombreux sujets et préoccupations enchevêtrées (Richieri Hanania 2009 ; Richieri Hanania 2014: 299-305). Grâce à cette perspective, la CDEC permet de répondre de manière appropriée à la réalité complexe de l’économie créative, marquée par les nouvelles technologies, l’innovation, mais également des paradoxes et concepts oxymoroniques (dans cet ouvrage : Neuwirth, chapitre 8, texte 3). Sa mise en oeuvre exige, tout d’abord, une plus grande coordination et cohérence entre les différentes instances au sein desquelles ces préoccupations sont défendues, que ce soit au niveau national ou international. Ainsi, les organisations internationales, tout en agissant dans leurs domaines de compétence spécialisée respectifs, doivent travailler ensemble, en développant des réseaux et des actions conjointes (dans cet ouvrage : Vlassis, chapitre 24, texte 13). Les Parties à la CDEC doivent également se consulter davantage, afin de garantir l’articulation entre les principes et objectifs de la Convention et d’autres domaines ayant un lien direct ou indirect avec la gouvernance internationale du secteur des biens et services culturels. Au niveau national, les représentants gouvernementaux doivent également s’assurer de la cohérence des positions étatiques définies dans ces divers domaines, lesquels dépassent de plus en plus le domaine traditionnellement considéré comme culturel dans l’économie créative (Richieri Hanania 2015a; Richieri Hanania 2015b; RIJDEC 2015). La réaffirmation de la culture comme partie fondamentale du concept de développement durable renforce l’exigence d’articulation et de rapprochement entre différents domaines et requiert que l’adoption de politiques publiques et leur adaptation au numérique par les Parties à la CDEC soit réalisée en tissant des liens et passerelles entre des champs d’action distincts. Les politiques en matière d’éducation en fournissent au demeurant une illustration flagrante (dans cet ouvrage : Carbó & Maceiras, chapitre 35, texte 16).

La complexité de sujets et d’acteurs à laquelle la CDEC est confrontée semble s’être accrue dans le contexte des nouvelles technologies (dans cet ouvrage: Ranaivoson, chapitre 16, texte 9), entre autres en raison de la rapidité et de l’ampleur des changements que ces dernières opèrent (dans cet ouvrage: Schwartz, chapitre 6, texte 2), ainsi que de la difficulté de compréhension de cette nouvelle réalité (dans cet ouvrage: Marenghi, Hernández & Badillo, chapitre 14, texte 7) avant toute action ou réaction ciblant la diversité des expressions culturelles. Toute la chaîne de valeur du secteur des biens et services culturels a été touchée par le numérique. Les secteurs du film (dans cet ouvrage : Secteur du film), de la musique (dans cet ouvrage : Assis, chapitre 5, texte 1) et du livre (dans cet ouvrage : Secteur du livre) présentent les exemples les plus frappants de l’évolution extrêmement dynamique du marché. Mais les autres secteurs culturels, comme celui des spectacles vivants ou des musées, sont également en train de se transformer avec le numérique. Il s’agit d’un processus mouvant qui, tout en ne pouvant pas être entièrement contrôlé, requiert des politiques publiques adaptées, réactives mais également capables de guider les transformations du marché en faveur de la diversité (dans cet ouvrage : Burri, chapitre 15, texte 8). Plus que jamais, les législateurs et les décideurs politiques doivent faire preuve de créativité (dans cet ouvrage : Neuwirth, chapitre 8, texte 3) et adopter une approche prospective, tournée vers l’avenir, ouverte aux futurs changements et en même temps vigilante et attachée aux objectifs poursuivis jusqu’à présent en termes de politique publique.

Puisque le numérique touche à tous les aspects de la vie contemporaine et qu’il dépasse les frontières nationales, il devient de plus en plus nécessaire d’agir sur différents domaines et avec la collaboration d’autres pays et la contribution de toutes les parties intéressées, celles-ci apportant leur regard d’expert dans leurs champs de compétence respectifs. Ceci est d’autant plus important que le potentiel de l’économie créative en termes de croissance économique et de construction de sociétés tolérantes, pacifiques et respectueuses de la diversité, est immense. Tous les acteurs du marché des contenus numériques doivent être concernés et appelés à contribution. Toutes les organisations internationales agissant dans le domaine de la culture, du numérique, mais également plus généralement du développement durable, doivent travailler ensemble. Enfin, la société civile doit être largement mobilisée (dans cet ouvrage : Vallerand, chapitre 21, texte 12), à la fois par des projets concrets en faveur de la diversité culturelle et par son action de surveillance et de coordination sur les plans national et international.

Les efforts au sein de l’UNESCO en vue de la mise en œuvre de la CDEC ont conduit à la prise de conscience des différents défis, obstacles, menaces et opportunités que les nouvelles technologies, et le numérique notamment, représentent pour les industries culturelles et pour la diversité des expressions culturelles. Le Secrétariat de la Convention de 2005 est actuellement en train d’élaborer des directives opérationnelles traitant spécifiquement du thème du numérique (dans cet ouvrage : Rioux & Fontaine-Skronski, chapitre 20, texte 11), afin de donner de l’impulsion à des actions effectives des Parties à la Convention et de la société civile. Le présent ouvrage souhaite contribuer à ce travail, en apportant des éléments de réflexion et des propositions concrètes.

II – Objectifs et contenu du présent ouvrage

Fruit de la coopération de Lilian Richieri Hanania (voir mini-biographie) (CEST / Université de São Paulo (USP), Brésil) et Anne-Thida Norodom (voir mini-biographie) (CUREJ / Université de Rouen, France), l’ouvrage vise à contribuer à la compréhension du thème de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique et à la réflexion sur les mesures et politiques les plus appropriées pour répondre aux défis et opportunités liés à ce thème.

Il réunit des études théoriques, des documents d’opinion, des études de cas et des témoignages de projets et initiatives pratiques qui, fondés sur des disciplines diverses (droit, économie, sciences politiques et sociales, journalisme, technologies de l’information, ingénierie)[5], démontrent comment les nouvelles technologies peuvent être employées pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Ouvrage multidisciplinaire trilingue (français, anglais et portugais), il vise également à contribuer à la diversité linguistique en ligne.

Il regroupe tout d’abord des textes sélectionnés par les directrices de l’ouvrage à la suite d’un appel à propositions sur un large spectre de sujets, couvrant : le contexte de l’économie créative, ainsi que les défis et opportunités posés par le numérique à la diversité des expressions culturelles ; l’encadrement par l’Etat du marché culturel à l’ère numérique (initiatives et politiques ciblant la diversité, sous l’angle de la propriété intellectuelle, l’éducation, le développement durable, etc.) ; la contribution des acteurs non étatiques à la diversité des expressions culturelles en ligne (rôle de la société civile et projets concrets permettant de diversifier l’offre de contenus numériques) ; et l’action et la coopération internationales relatives à la diversité des expressions culturelles sur Internet, y compris le rôle des organisations internationales et de leur action conjointe en faveur de la diversité en ligne.

Les textes sélectionnés sont disponibles en anglais, français et portugais, grâce au soutien financier de nos partenaires (voir Partenaires), lequel nous a permis de commander les traductions nécessaires. Il est à noter que les listes de références à la fin de chaque texte n’ont pas été traduites et ont été maintenues dans la langue du texte original. La langue originale de chaque texte a été au demeurant indiquée dans chaque version traduite. Pour les citations contenues dans les textes, lorsqu’une version officielle dans la langue de traduction existait, elle a été privilégiée. Dans le cas contraire, il s’agit d’une traduction libre, réalisée par nos services de traduction. Les auteurs ont eu connaissance de leurs textes traduits, mais ne s’engagent naturellement que sur les versions originales rendues aux directrices de l’ouvrage. Malgré les efforts de révision de texte de ces dernières, si des imprécisions ou mauvaises interprétations demeurent, les directrices en sont responsables et remercient d’avance pour tout commentaire ou suggestion que les lecteurs pourraient souhaiter leur transmettre via l’adresse électronique CDEC_et_numerique@yahoo.com.

Par ailleurs, l’ouvrage comporte des vidéos d’experts internationaux sélectionnées lors de trois colloques réalisés à São Paulo (Brésil) et à Rouen (France) :

  • I Journée sur la diversité culturelle et les nouvelles technologies réalisée à São Paulo par le CEST/USP le 2 juillet 2015 (voir programme, texte 24) (voir rapport, texte 25) ;
  • Colloque de Rouen (CUREJ/Université de Rouen) sur l’application de la Convention de l’UNESCO à l’ère numérique du 11 décembre 2015 (voir programme et rapport, texte 26) ;
  • II Journée sur la diversité culturelle et les nouvelles technologies réalisée à São Paulo par le CEST/USP le 19 mai 2016 (voir programme et rapport, texte 27).

Les vidéos sélectionnées sont disponibles chacune en une seule langue, mais le travail d’édition réalisé a perfectionné au maximum la qualité de son de ces vidéos, afin que du moins certaines d’entre elles puissent être exploitées par le sous-titrage automatique résultant de la technologie de reconnaissance vocale proposée par YouTube. Il est à noter que toutes les vidéos des trois conférences n’ont pas pu être éditées, un financement additionnel éventuel pouvant permettre d’enrichir encore le présent ouvrage à l’avenir. En effet, le choix d’un ouvrage multimédia s’est fait non seulement pour assurer la cohérence de l’ouvrage avec son thème (les technologies numériques), mais également pour permettre d’enrichir régulièrement ce dernier avec de nouvelles contributions écrites, vidéos et commentaires, capables de rendre compte au mieux de la réalité numérique et de s’adapter à son rythme rapide d’évolution.

La difficulté de compréhension de cette réalité rendant problématique l’élaboration de politiques et l’adoption d’actions appropriées, le présent ouvrage vise à offrir une analyse davantage adaptée à la complexité du sujet, capable de dépasser la fragmentation des domaines d’étude et de prendre en compte les spécificités, priorités et circonstances nationales et locales, tout en offrant une vision de ce que recouvre le thème de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique qui soit intégrante, systémique et ouverte à son contexte et à l’avenir. La pensée complexe prônée par Edgar Morin depuis 1970 paraît particulièrement adaptée à cette analyse : une pensée multidimensionnelle qui accepte l’incomplétude et l’ambiguïté de toute connaissance, mais qui s’efforce toutefois de réunir le divers, de rendre complémentaires les antagonismes, de rassembler l’empirique et le rationnel (Morin 2005: 11-12). L’interculturalité, le dialogue culturel, les échanges culturels, la tolérance des différences culturelles… tout cela exige une diversité intégrée, qui se conçoit paradoxalement à la fois dans l’unité et la diversité humaines et qui ne peut se comprendre sans ses différents contextes et les interactions qui s’y produisent.

Redessiner les politiques culturelles dans le cadre d’une stratégie numérique requiert le dépassement des simplifications et polarisations. Il n’existe pas de solution unique ni de modèle à suivre. Les projets à succès et les meilleures pratiques ne sont utiles que dans la mesure où ils peuvent être répliqués de manière adaptée à des conditions et contextes à la fois spécifiques et changeants. Comme le souligne Edgar Morin, la complexité “ne comprend pas seulement des quantités d’unités et interactions qui défient nos possibilités de calcul ; elle comprend aussi des incertitudes, des indéterminations, des phénomènes aléatoires” (Morin 2005: 48-49). Afin d’intégrer l’aléa pour agir au sein de l’économie créative en faveur de la diversité, il est nécessaire de recourir à l’inventivité et à la créativité qui sont au cœur même de ce concept. Les programmes rigides doivent céder la place à des stratégies, comprises comme permettant, “à partir d’une décision initiale, d’envisager un certain nombre de scénarios pour l’action, scénarios qui pourront être modifiés selon les informations qui vont arriver en cours d’action et selon les aléas qui vont survenir et perturber l’action” (Morin 2005: 106).

Ainsi et comme le défend encore Edgar Morin, “la stratégie politique (…) requiert la connaissance complexe, car la stratégie se mène en travaillant avec et contre l’incertain, l’aléa, le jeu multiple des interactions et rétroactions” (Morin 2005: 21). L’évolution technologique renforce davantage de telles incertitudes et aléas. Dans le domaine culturel, cela appelle à la prise en compte de la complexité des objets et acteurs impliqués lors de toute décision politique liée à la gouvernance des industries culturelles et renvoie, en fin de compte, à “l’impossibilité et d’homogénéiser et de réduire” (Morin 2005: 141). La manière de penser la diversité face aux nouvelles technologies doit intégrer cette complexité. Réguler les industries culturelles à l’ère du numérique amène à considérer, tant dans leur individualité que dans leur association, les différents domaines politiques et les diverses branches du droit pouvant toucher directement ou indirectement au fonctionnement de ces industries, comme, pour ne citer que quelques exemples, le droit du commerce international, la propriété intellectuelle (dans cet ouvrage: Kauark & Cruz, chapitre 10, texte 4), le droit de la concurrence, les droits de l’homme, le droit des sociétés, la fiscalité (dans cet ouvrage: Carvalho & Makiuchi, chapitre 12, texte 5), le droit des obligations (dans cet ouvrage: Martin, chapitre 13, texte 6), ou encore la gouvernance de l’Internet. La CDEC semble particulièrement adaptée à ce type d’exercice. Elle propose une vision systémique et intégrante des échanges des biens et services culturels et de la gouvernance des industries culturelles (Richieri Hanania 2014: 299 et s.; Richieri Hanania 2015a; Richieri Hanania 2015b), fondée sur l’articulation incessante entre des thèmes souvent traités séparément (entre autres, commerce, culture, développement, coopération internationale, économie créative). Cette approche systémique, où le système doit nécessairement demeurer ouvert et en relation continue avec son écosystème (Morin 2005: 31-33), appelle à la transdisciplinarité, à la prise en compte à la fois de l’unité et des différences, ainsi que des complexités dans l’articulation et l’association entre les divers aspects qu’elle recouvre.

Si le présent ouvrage ne prétend naturellement pas couvrir exhaustivement tous les domaines liés au thème de la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique, il cherche à organiser et articuler les contributions écrites et vidéos sélectionnées afin qu’elles soient exploitables au mieux pour le progrès de la réflexion sur ce thème. La première partie de l’ouvrage aborde le sujet des défis et opportunités liés au numérique pour la diversité des expressions culturelles (Partie I), offrant des visions diverses et axées sur des aspects multiples de l’impact des nouvelles technologies sur le secteur culturel. Elle conduit à une deuxième partie sur l’intégration du numérique dans l’élaboration et l’adoption des politiques culturelles au sein de la réalité des nouvelles technologies et de l’économie créative (Partie II). Au sein de la Partie I, les textes et vidéos sélectionnées traitent d’abord du marché des biens et services culturels à l’ère du numérique (I.A), avant d’aborder le thème de l’adaptation du droit et des politiques aux technologies numériques (I.B). Ensuite, dans la Partie II, il est premièrement question de la mesure de la diversité culturelle dans le contexte numérique (II.A), prémisse pour une deuxième sous-partie sur la promotion de cette diversité via la mise en œuvre de la CDEC (II.B). Cette deuxième sous-partie est davantage centrée sur la CDEC et son application au sein de l’environnement numérique.

Enfin, la Partie III de l’ouvrage réunit des initiatives et projets concrets qui intègrent les technologies numériques afin de favoriser la diversité. Toutes ces contributions, qu’elles soient disponibles en format texte ou vidéo, sont également classées par secteur (secteur du film, de la musique et du livre) et auteur. Un ensemble de textes complémentaires et d’interviews (Parties IV et V) fournissent, par ailleurs, des analyses additionnelles intéressantes et utiles pour la compréhension de la complexité mise en œuvre par la CDEC.

Références

Morin, E. (2005) Introduction à la pensée complexe, Essais, Points, Editions du Seuil, 2005, 158 p.

OMC (2016) Programme de travail sur le commerce électronique, OMC, 25 septembre 1998. <www.wto.org/french/tratop_f/ecom_f/wkprog_f.htm> (consulté le 06 octobre 2016).

Richieri Hanania, L. (2009) Diversité culturelle et droit international du commerce, CERIC, Paris, La Documentation française, 480 p.

Richieri Hanania, L. (ed. & dir.) (2014) Cultural Diversity in International Law: The Effectiveness of the UNESCO Convention on the Protection and Promotion of the Diversity of Cultural Expressions, London/New York, Routledge, 320 p.

Richieri Hanania, L. (2015a) Le débat commerce-culture à l’ère numérique : quelle application pour la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles au sein de l’économie créative ?, 29 avril 2015. <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2600647> (consulté le 06 octobre 2016).

Richieri Hanania, L. (2015b) The UNESCO Convention on the Diversity of Cultural Expressions as a Coordination Framework to promote Regulatory Coherence in the Creative Economy, in The International Journal of Cultural Policy, DOI: 10.1080/10286632.2015.1025068, pp. 1-20.

RIJDEC (2015) Le renouvellement de l’exception culturelle à l’ère du numérique. Rapport presenté à Mons, Belgique, au Colloque international visant à souligner le dixième anniversaire de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 25 Octobre 2015, 78 pages. <http://www.coalitionfrancaise.org/wp-content/uploads/2015/10/RIJDEC-Le-renouvellement-de-lexception-culturelle-%C3%A0-l%C3%A8re-du-num%C3%A9rique-22-10-15.pdf> (consulté le 06 octobre 2016).

UNESCO (2016) Culture et développement, Culture, UNESCO <http://www.unesco.org/new/fr/culture/themes/culture-and-development/> (consulté le 06 octobre 2016).

United Nations (2015), Transforming our world: the 2030 Agenda for Sustainable Development, Resolution adopted by the General Assembly on 25 September 2015, Seventieth session, A/RES/70/1, 21 October 2015. <http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/1&Lang=E> (consulté le 06 octobre 2016).


  1. Les auteures remercient Olivier Millot pour ses commentaires sur une version précédente de cette introduction.
  2. Il existe un Programme de travail sur le commerce électronique à l’OMC, établi en 1998 par le Conseil général de cette organisation (OMC 2016). Les Membres de l’OMC le traitent au sein des conseils portant sur le commerce des marchandises, le commerce des services, la propriété intellectuelle et le commerce et le développement. Parmi les sujets abordés, se trouvent la classification du contenu des transmissions électroniques, l’impact fiscal du commerce électronique, la participation des pays en développement au commerce électronique et ses effets, ainsi que l’imposition de droits de douane sur les transmissions électroniques.
  3. “Nous aspirons à un monde où soient universellement respectés les droits de l’homme et la dignité humaine, l’état de droit, la justice, l’égalité et la non-discrimination. Un monde où la race, l’origine ethnique et la diversité culturelle soient respectées. (…)”.
  4. “Nous nous engageons à favoriser l’entente entre les cultures, la tolérance, le respect mutuel et une éthique de citoyenneté mondiale et de responsabilité partagée. Nous avons conscience de la diversité naturelle et culturelle du monde et savons que toutes les cultures et toutes les civilisations peuvent contribuer au développement durable, dont elles sont des éléments indispensables”.
  5. Voir également, pour une étude sur l’effectivité de la CDEC réunissant des analyses provenant de disciplines et pratiques diverses, Richieri Hanania (2014).


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