Régulations locales

Le cas des États-Unis

Ancrée dans l’économie politique comparée, l’étude comparative des modèles de relations d’emploi et des institutions du marché du travail s’est avant tout définie par rapport au cadre réglementaire et législatif national, considéré de fait comme la source principale du droit du travail. C’est par rapport à l’État qu’ont été théorisées les mutations des relations salariales sous l’effet de la globalisation. Mais si l’échelle nationale reste une dimension clé dans l’analyse comparative (Azaïs et Kesselman, 2011), la sociologie et la géographie économique nous invitent à questionner les approches monoscalaires pour mieux appréhender la pluralité des facteurs économiques, politiques et socio-culturels qui interagissent pour façonner les régimes d’économie politique à de multiples échelles. Le passage d’un « encastrement national » (national embeddedness) à ce que Boyer & Hollingsworth (1997) décrivent comme une « imbrication institutionnelle » (institutional nestedness) complexe nécessite la prise en considération des processus non seulement nationaux, internationaux et globaux, mais également des dynamiques infranationales qui opèrent à l’échelle des régions, provinces, états (fédérés) et des zones métropolitaines (Cossu-Beaumont, Coste & Velut, 2016).

L’importance de ces processus institutionnels « souterrains » ou « immergés » varie entre les États « forts » où le processus décisionnel est centralisé et les États « faibles » caractérisés par un appareil plus fragmenté, décentralisé et en proie aux pressions des groupes d’intérêts. Ainsi, l’analyse des régulations locales dans un système fédéral comme les États-Unis, le Canada ou l’Australie semble de prime abord beaucoup plus pertinente que dans un régime politique centralisé comme la France. Mais là encore, la conception souvent binaire (fort ou faible), monolithique et figée de l’État qui a longtemps dominé l’économie politique comparée occulte le pluralisme des régimes institutionnels, des conflits interscalaires et des transformations constantes au sein même des modèles d’emploi, non seulement au sein des régimes fédéraux mais également des États plus centralisés. En France, la décentralisation progressive des dispositifs d’aides sociales (Revenu de Solidarité Active) de l’État vers les départements montre que les dynamiques multi-niveaux ne sont pas l’apanage des modèles de fédéralisme.

L’intégration de la dimension infranationale permet de rendre compte de la diversité interne des variétés de capitalisme et du rôle historique des dynamiques locales ou régionales dans la constitution d’un cadre réglementaire national. Pour le présent volume, la réflexion sur le rôle des régulations locales permet de comprendre dans quelle mesure les dynamiques infranationales contribuent aux mutations du travail salarial et à la formation, la perpétuation ou la résorption des zones grises d’emploi.

En s’appuyant sur le cas des États-Unis, cette entrée analyse les ressorts et les enjeux des régulations locales dans la recomposition des rapports sociaux à l’ère de globalisation. Elle se décline en trois parties. La première vise à contextualiser et historiciser le rôle clé des dynamiques locales aux États-Unis dans la lente formation d’un régime salarial aujourd’hui réifié. La seconde partie examine le renouveau des normes d’emploi qui émanent de l’échelle infranationale. La dernière partie tire les enseignements théoriques de cette étude de cas pour mieux conceptualiser les enjeux d’une approche multiscalaire pour l’étude des zones grises d’emploi.

Courte histoire multiscalaire du modèle salarial américain

La fragmentation du système institutionnel américain en fait un exemple particulièrement probant de la pertinence de l’échelle infranationale. L’histoire ouvrière américaine illustre le rôle clé que peuvent jouer les régulations locales dans l’évolution des relations salariales. Par souci de concision, le court panorama historique qui suit s’articule en trois périodes – pré-fordiste, fordiste et post-fordiste – qui permettent de mieux comprendre l’incidence des jeux d’échelle dans la formation, la consolidation et les mutations contemporaines du droit du travail.

Au début du vingtième siècle, après des décennies de conflits sociaux (→ Conflits du travail) liés aux bouleversements de l’industrialisation et de l’urbanisation, les premières régulations locales de l’ère progressiste viennent combler l’absence ou l’insuffisance des protections fédérales accordées aux travailleurs salariés, ouvrant ainsi la voie à des réformes fondatrices pour le salariat américain. La prolifération des régimes d’indemnisation des accidents du travail parmi les États fédérés au début du vingtième siècle est un exemple de régulation locale comme complément du régime fédéral, jusque là réservé à certains secteurs (chemins de fer, fonction publique, etc.). Dans d’autres cas, les régulations locales constituent une étape préliminaire à la construction du droit du travail à l’échelle fédérale, illustrant le principe d’États comme « laboratoires de la démocratie ». C’est notamment le cas des premières lois sur le salaire minimum adoptées par 15 états entre 1912 et 1923 qui, en dépit de l’opposition de la Cour Suprême, préfigurent la création d’un salaire minimum fédéral en 1938 (Fair Labor Standards Act).

Dans les années 1930, le New Deal marque la naissance de l’État Providence et la fondation du droit du travail américain. Cette véritable révolution politique et institutionnelle fait de l’État fédéral, notamment par le National Labor Relations Board (NLRB), le nouveau garant des droits des travailleurs (droit de syndicalisation, encadrement des négociations collectives, salaire minimum, assurance chômage etc.) et relègue provisoirement au second plan les instances infranationales. Pourtant, dès l’après-guerre, malgré le rôle accru de l’État fédéral et la puissance des syndicats, certaines réformes viennent déjà affaiblir les avancées du New Deal et révéler les limites du « compromis fordiste ». La loi Taft-Hartley (1947) restreint le droit de grève et autorise officiellement les États fédérés à interdire le système du closed shop (entreprise réservée aux travailleurs syndiqués). En l’espace d’une dizaine d’années, 17 États hostiles au mouvement syndical votent des lois dites right-to-work – c’est-à-dire « droit au travail » (non syndiqué). Contrairement aux régulations locales progressistes du début du vingtième siècle, l’après-guerre voit donc des mesures infranationales fissurer l’édifice fordiste au milieu d’une période pourtant traditionnellement perçue comme l’âge d’or du syndicalisme américain. Toutefois, l’héritage du New Deal perdure et se renouvelle au rythme de l’essor industriel de l’après-guerre et grâce aux réformes des années 1960 et du début des années 1970, qui renforcent à de nombreux égards l’intervention fédérale dans les relations d’emploi (non-discrimination, Medicare, Medicaid, création d’un organisme pour la santé et sécurité au travail etc.).

Les prémices de la désindustrialisation et la révolution conservatrice des années Reagan marquent un tournant vers la décentralisation qui se décline en deux phases. À partir de la fin des années 1970, les pressions de la concurrence internationale sur l’industrie américaine et les ressources fiscales des États fédérés incitent ces derniers à développer de nouvelles politiques sectorielles, généralement sans le concours des organisations syndicales (Gray & Lowery, 1991). Ainsi les garants du régime fordiste – l’État fédéral et le mouvement syndical – se retrouvent exclus de ces dynamiques de destruction créatrice tant pour des raisons politiques et idéologiques – le climat hostile aux syndicats et à l’intervention fédérale – que pour des raisons économiques et organisationnelles – l’internationalisation des chaînes de production et l’émergence d’une économie postfordiste dont la main d’œuvre n’est pas syndiquée. En parallèle, le Nouveau Fédéralisme, porté par Richard Nixon et Ronald Reagan avant d’être prolongé sous l’administration Clinton, offre plus d’autonomie aux États fédérés dans la gestion des fonds fédéraux, y compris des aides sociales (réforme de 1996) en regroupant des transferts fléchés (categorical grants) sous la forme de transferts globaux (block grants). Ce transfert de pouvoir à l’échelle régionale fragilise un peu plus le système de protection sociale, en autorisant les États à rogner les aides sociales au profit d’autres postes de dépenses.

À partir des années 1990, au milieu d’une décennie où la globalisation semble s’accélérer, une deuxième phase de décentralisation se profile. Face à la polarisation partisane qui paralyse non plus seulement le gouvernement fédéral mais grippe de plus en plus les appareils gouvernementaux des États fédérés, ce sont les villes qui prennent le relais de l’innovation économique, sociale et environnementale (Clavel, 2010). Ainsi, de multiples vagues de régulations locales viennent au secours d’un régime fragmenté dont les piliers (le NLRB et l’AFL-CIO, fédération dominée par des syndicats ouvriers) n’ont pas permis, jusque là, d’enrayer le délitement. Cette résilience, voire ce renouveau du droit du travail par le bas reste toutefois précaire, en raison des nombreux obstacles politiques et socio-économiques auxquels les régulations locales se heurtent.

Localisme, globalisme et mutations du rapport salarial

Les exemples des recompositions des relations d’emploi par l’échelle locale sont nombreux. Nous évoquerons principalement deux cas de figure contemporains pour en tirer les enseignements empiriques et théoriques sur les vecteurs de ces changements et leur incidence.

Citons tout d’abord la prolifération des ordonnances sur le salaire de subsistance ou salaire décent (living wage). Une première vague débute avec la mobilisation de Baltimore en 1994 et se prolonge jusqu’au milieu des années 2000. À partir de 2012, une seconde vague est venue renouveler cet élan avec le mouvement « Fight for 15 » dont l’objectif est de convaincre les pouvoirs locaux et les entreprises d’adopter un salaire minimum de 15 dollars de l’heure – soit près du double du revenu minimum fédéral établi à 7,25 dollars depuis 2009. En l’espace de vingt ans, près de 150 localités – concentrées surtout le long des côtes Est et Ouest, et dans la Rust Belt – ont adopté une ordonnance sur le salaire décent.

En 2015 et 2016, le mouvement « Fight for 15 » a été couronné de victoires symboliques à Seattle, Los Angeles, et dans les États de New York et de Californie. Ces mobilisations locales sont d’une part le produit de l’inertie du gouvernement fédéral en matière de politique salariale. Les campagnes pour un salaire décent créent de véritables effets de déversement d’une localité à l’autre et se substituent donc à l’action du gouvernement fédéral dans un domaine central de la relation salariale comme la rémunération.

Avant que ce mouvement translocal se rassemble autour de la cible des 15 dollars, les multiples succès de cette campagne occultaient de fortes disparités régionales tant au niveau du salaire (de 7,50 dollars à Albuquerque, NM à 17,78 dollars à Hartford, CT) que des salariés couverts par ces régulations locales. En effet, contrairement au revenu minimum fédéral, les ordonnances locales incluent rarement toutes les catégories de travailleurs résidant dans une même localité. En 2011, seules 4 % d’entre elles concernaient l’ensemble des travailleurs de la ville concernée. Dans les faits, les principaux bénéficiaires de ce type de régulations sont les prestataires de services (entretien, sécurité) pour la ville. La seconde catégorie de travailleurs couverts par les ordonnances sur le revenu de subsistance inclut les employés des entreprises ayant obtenu une aide financière de l’État ou la ville (près d’une ordonnance sur deux en 2011). Ceci signifie qu’en dehors d’une étroite minorité, ce type de régulations n’apporte qu’une solution très partielle à l’émergence de zones grises d’emploi, ne couvrant qu’une partie assez limitée des travailleurs dans le secteur des services. Néanmoins, à l’image des réformes de l’ère progressiste, l’impact de ces réformes locales réside peut-être dans leurs effets de contagion, comme semblent l’illustrer l’adoption récente d’ordonnances par la Californie et l’État de New York, ainsi que l’inclusion d’un salaire à 15 dollars dans le programme officiel du Parti Démocrate en 2016. Ces mécanismes de transmission ont eu par ailleurs un effet non négligeable sur les récentes décisions de grandes chaînes de distribution (notamment Walmart, premier employeur privé aux États-Unis, Starbucks ou Nationwide Mutual Insurance) d’augmenter le revenu minimum au sein de leur entreprise.

Un autre exemple de régulations locales renforçant les protections des salariés concerne la prolifération de lois sur les congés parentaux payés (paid parental leave). À l’échelle fédérale, le Family & Medical Leave Act de 1993 établit un droit au congé parental non rémunéré à hauteur de 12 semaines. Toutefois, les États-Unis restent le seul pays industrialisé qui ne garantisse aucun revenu dans le cadre d’un congé parental. Après de nombreux échecs politiques à la fin des années 1990 et au début des années 2000, certains États sont finalement parvenus à mettre en place des dispositifs de rémunération des congés parentaux. La Californie a été pionnière en la matière, instituant un système de compensation financé par cotisations salariales qui autorise les employés à six semaines de congés parentaux rémunérés à 55 % du salaire. Quatre autres États ont suivi la voie de la Californie : l’État de Washington (2007), le New Jersey (2008), le Rhode Island (2013), l’État de New York (2016). San Francisco a surenchéri à 100 % du salaire, devenant la première ville aux États-Unis à encadrer le droit au congé parental payé aux États-Unis. Là encore, les effets de déversement sur le reste du pays sont clairs. Aujourd’hui, une quinzaine d’États ainsi qu’un certain nombre de grandes villes comme Washington, DC ou Seattle (qui a doublé la durée des congés parentaux payés pour les employés de la ville en 2016) envisagent ce type de régulations locales. Ce mouvement a impulsé un nouvel élan à l’échelle fédérale. En dehors des promesses électorales sur les congés parentaux formulées par Hillary Clinton, le Président Barack Obama a tenté de stimuler cette vague de réformes locales en allouant une partie du budget fédéral de 2011 aux initiatives lancées par les États, avant de subir l’opposition du Congrès Républicain (Milkman, Ruth & Appelbaum, 2013 ; Thévenard, 2016).

Si ces deux exemples figurent parmi les mouvements les plus significatifs, ils sont loin d’être une exception. Au cours des deux dernières décennies, des mobilisations locales ou translocales visant à défendre ou élargir le droit du travail ont proliféré, multipliant les effets de déversement et d’émulation d’une campagne à l’autre : c’est le cas du mouvement pour le droit aux congés maladie, particulièrement en phase avec la campagne pour les congés parentaux (Thévenard, 2016) ; des régulations locales visant à encadrer les travailleurs indépendants dans le secteur du service à la personne (Sachs, 2007) ; des lois et ordonnances pour lutter contre diverses formes de discrimination (liée notamment à l’identité de genre et l’orientation sexuelle) ; des accords de neutralité ou de paix sociale (labor peace agreements) qui ont élargi le rôle des villes dans l’application du droit de syndicalisation (Wells, 2002) ; ou encore des politiques d’achat socialement responsable (sweatfree) au sein des villes, comtés et États. Ce dernier type de régulation locale ne concerne pas directement les droits des travailleurs américains mais vise l’application stricte de normes sociales internationales au sein des sous-traitants étrangers qui fournissent des biens (notamment textiles) aux communautés socialement responsables (universités et villes). Il se démarque donc par sa portée extra-territoriale qui illustre encore une fois les multiples facettes de l’échelle locale dans un contexte de globalisation des chaînes de production.

Mais si les forces progressistes – syndicats, ONG et leurs alliés politiques – sont parvenues récemment à réactiver les leviers de la gouvernance locale américaine pour combler les failles du système fédéral et revendiquer de nouveaux droits, elles ne détiennent pas le monopole des initiatives infranationales. Ainsi, avec l’appui d’élus Républicains, les milieux d’affaires ont cherché à endiguer ce renouveau du droit du travail, en abrogeant des lois et ordonnances sur le salaire minimum de subsistance ou en coordonnant de nouvelles campagnes pour « le droit au travail (right to work) non syndiqué » au sein des États, voire des villes.

Fragmentation ou renouveau des relations d’emploi ?

Quelles leçons peut-on tirer de l’exemple américain sur la pertinence des régulations locales à l’aune des mutations des relations d’emploi dans un contexte de globalisation ? Quels sont les ressorts et les enjeux de ces dynamiques infranationales contemporaines pour l’analyse des zones grises d’emploi ?

Avant tout, il faut rappeler que les effets de globalisation sur les relations d’emploi impliquent à la fois des processus de convergence et de différentiation (Azaïs, 2010). Le panorama historique dressé ci-dessus démontre que les régulations locales ont pu servir de tremplin aux réformes comme de relais au démantèlement d’un régime salarial qui, aux États-Unis, a toujours été à la fois fragile et fragmenté. En d’autres termes, si la globalisation exerce bel et bien des pressions sur les différents modèles d’emploi, chaque économie politique possède sa propre histoire, son ancrage culturel et institutionnel et son écosystème d’acteurs qui co-construisent, déconstruisent et/ou reconstruisent les normes d’emploi.

Certains géographes, théoriciens du droit à la ville, interprètent la décentralisation des pouvoirs publics comme l’un des versants d’un double processus de « restructuration néolibérale » qui dépossède les États pour réallouer leurs pouvoirs aux gouvernements locaux et aux instances internationales (Purcell, 2002). Mais paradoxalement, nombreux sont ceux ou celles qui – parmi les géographes, mais aussi les politologues et les sociologues –envisagent l’échelle locale comme la clé de voûte d’une « mondialisation par le bas » à même de réformer ou de renverser le capitalisme mondial. Là encore, cette tension entre l’idée de (dé)régulations locales comme outil de déstructuration ou levier du progrès social nous rappelle que les mesures infranationales n’ont pas de fonction prédéfinie dans la construction de la relation d’emploi.

Cette tension illustre aussi la fragilité de cette recomposition du droit du travail par le bas. Premièrement, l’optimisme suscité par la ratification de récentes lois ou d’ordonnances en faveur des droits des salariés ne doit pas occulter les conflits qui subsistent entre réformateurs et conservateurs lors de l’application de nouvelles mesures. Selon Luce (2004), le succès des réformes du living wage dépend de la mobilisation des syndicats et des organisations locales non seulement avant mais aussi après la ratification des textes, sans quoi les délais d’application peuvent être prolongés ou le champ d’application restreint sous la pression des intérêts privés, une fois retombée l’attention des médias et de l’opinion publique. Les obstacles liés à l’application des réformes sociales, parfois soulignés à l’échelle nationale, sont d’autant plus difficiles à surmonter au niveau local que les organisations impliquées ne possèdent pas toujours les ressources pour assurer le suivi de mesures parfois complexes. Par ailleurs, comme ce fut le cas historiquement, les ordonnances restent exposées non seulement à l’alternance politique à l’échelle locale mais aux attaques des instances gouvernementales ou juridiques supérieures qui peuvent invalider des réformes sociales.

L’autre ambiguïté de ce type de régulations locales concerne les inégalités (→ Inégalités) de traitement qu’elles peuvent engendrer. Dans la mesure où les ordonnances locales comme celles sur le salaire de subsistance sont rarement universelles, elles sont susceptibles de créer plusieurs catégories de travailleurs au sein des classes moins aisées. En ce sens, elles participent incidemment au processus de différenciation et de fragmentation du régime salarial qui est au cœur des phénomènes de zones grises. En outre, si le scénario d’un nivellement par le bas entre les États fédérés ou les villes ne s’est jamais vérifié, les lois locales sur le travail peuvent engendrer des disparités régionales que les réformes fédérales permettraient au contraire d’atténuer.

En somme, la prise en considération des régulations locales offre une grille d’analyse plus complexe pour appréhender les mutations des relations d’emploi à l’ère de la mondialisation. L’analyse de l’expérience américaine révèle que ces dynamiques interscalaires ont une longue histoire et ne sont donc pas nécessairement le fruit d’un phénomène de décentralisation induit par la globalisation. Certes, cette dernière bouleverse bel et bien les échelles et est parfois à l’origine de nouveaux conflits sociaux et politiques au sein des modèles de capitalisme. Toutefois, les transformations des relations d’emploi sont avant tout façonnées par l’imbrication institutionnelle propre à chaque régime d’économie politique. C’est la configuration spécifique des interactions entre structure et acteurs, entre échelles locales, régionales, nationales et globales qui permet de mieux comprendre le déclin ou le renouveau des relations salariales et non-salariales.

 

Jean-Baptiste Velut

Bibliographie

Azaïs, C. (2010) Labour and Employment in a Globalising World. Autonomy, Collectives and Political Dilemmas, New York: Peter Lang.

Clavel, P. (2010) Activists in City Hall. The Progressive Response to the Reagan Era in Boston and Chicago, Ithaca, NY: Cornell University Press.

Hollingsworth, J. R. & R. Boyer (1997) ‘From National Embeddedness to Spatial and Institutional Embeddeness’ in J. R. Hollingsworth & R. Boyer (eds), Contemporary Capitalism. The Embeddedness of Institutions, Cambridge: Cambridge University Press, pp. 433-484.

Gray, V. & D. Lowery (1991) ‘Corporatism without Labor? Industrial Policymaking in the American States’, Journal of Public Policy, 11(3): 315-329.

Kesselman, D. (2015) ‘Le modèle d’emploi étasunien en état de crise’, IdeAs, 5 | Printemps/Été 2015, disponible sur: http://ideas.revues.org/1004 (consulté le 1er septembre 2016).

Kesselman, D. & C. Azaïs (2011) ‘Les zones grises d’emploi : vers un nouveau concept dans la comparaison internationale du travail ? L’exemple des états¬Unis et de la France’, disponible sur : http://metices.ulb.ac.be/IMG/pdf/KESSELMAN-AZAIS.pdf

Luce, S. (2004) Fighting for a Living Wage, Cornell: ILR Press.

Milkman, R. & E. Appelbaum (2013), Unfinished Business. Paid Family Leave in California and the Future of U.S. Work-Family Policy, Ithaca: Cornell University Press.

Purcell, M. (2002) ‘Excavating Lefebvre: The Right to the City and Its Urban Politics of the Inhabitant’, GeoJournal 58(2/3): 99‐108.

Sachs, B. (2007) ‘Labor Law Renewal’, Harvard Law & Policy Review 375 (1), disponible sur : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1001086 (consulté le 1er septembre 2016).

Thévenard, E. (2016) ‘Paid Family Leave as Public Policy. A View from the States’, in G. Gomez & D. Kesselman (eds), Les femmes dans le monde du travail dans les Amériques, Aix-­‐en-­‐Provence: Presses Universitaires de Provence, disponible sur : https://books.openedition.org/pup/5269 (consulté le 1er septembre 2016).

Wells, M.-J. (2002), ‘When Urban Policy Becomes Labor Policy: State Structures, Local Initiatives, and Union Representation at the Turn of the Century’, Theory and Society, 31 (1): 115-146.



Laisser un commentaire